Média communiste pour toute l'Europe
fondé par Michèle Mestre
12/1968 · Le socialisme scientifique algérien · p. 65-70
Sommaire de la brochure
  • Éditorial
  • Une civilisation d'une grande richesse
  • Ibn Khaldoun, précurseur de la science historique
  • Colonialisme et personnalité algérienne
  • Un peuple qui jamais ne renonça
  • Trois dates historiques : le programme de Tripoli, la Charte d'Alger, les documents du 19 juin
  • La reconstruction révolutionnaire du parti du FLN
  • Développement économique et planification
  • L'UGTA et la construction du socialisme
  • Armée nationale populaire, base décisive de la révolution
  • Document : « Notre justice doit-être révolutionnaire au service du peuple et à sa portée »
  • L'Union nationale des femmes algériennes
  • Pour une véritable coopération franco-algérienne
  • L'important développement de la coopération Algérie-URSS
  • L'Algérie au premier rang des luttes anti-impérialistes
  • Une grande admiration pour Marx, Lénine et la révolution d'Octobre
  • Karl Marx en Algérie
  • Lénine et les « Thèses d'Avril »
  • Grande révolution d'Octobre, un événement qui a ébranlé le monde
  • Marxisme et socialisme scientifique algérien
  • Marxisme et socialisme scientifique algérien

    Ce sont des communistes, des communistes révolutionnaires français qui ont écrit collectivement cette brochure. Ils sont donc naturellement, si l’on s’en tient aux définitions habituelles, des « marxistes-léninistes ».

    Mais qu’est-ce que le « marxisme-léninisme » ?

    La direction du Parti communiste français qui soutient la contre-révolution algérienne et est avant tout soucieuse de réaliser l’alliance avec la formation bourgeoise pro-américaine FGDS, affirme elle aussi, naturellement, sa fidélité au « marxisme léninisme ».

    Le Parti communiste de l’Union soviétique est « marxiste-léniniste ». Celui de Chine l’est également et l’on sait pourtant la violente opposition qui sépare ces deux Partis.

    Les Partis communistes du Vietnam, de Cuba, de Corée, ceux de Roumanie et de Tchécoslovaquie se réclament aussi du « marxisme-léninisme » bien qu’ils pratiquent différemment le « marxisme-léninisme ».

    Et l’on pourrait signaler encore le trotskysme, ce courant gauchiste qui, depuis plus de quarante ans, affirme être le seul représentant du « marxisme-léninisme ».

    Tant de visages différents du « marxisme-léninisme » ! Vraiment qu’est-ce donc que ce « marxisme-léninisme » dont justement l’Algérie, engagée dans la construction scientifique du socialisme, ne se réclame pas ?


    Marx n’a pas fondé le « marxisme » et Lénine n’a pas fondé le « marxisme-léninisme », car ni l’un ni l’autre n’étaient des dogmatiques, des doctrinaires.

    Ce qui est réel, ce qui est fondamental, c’est la science de la révolution socialiste, une science vivante qui s’enrichit sans cesse des luttes révolutionnaires que mènent les peuples et leur avant-garde pour détruire la société d’exploitation et bâtir le socialisme.

    En mars 1952, Marx écrivait dans une lettre à Joseph Weydemeyer :

    « … en ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni leur lutte entre elles. Longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit le développement historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient exprimé l’anatomie économique. Ce que je fis de nouveau ce fut : 1° De démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases de développement historique déterminé de la production ; 2° Que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3° Que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à la société sans classes ».

    Marx a été indiscutablement le fondateur de la science de la révolution socialiste, science qu’il devait d’autant mieux créer qu’elle commença alors à être pratiquée par le prolétariat parisien au cours des journées de février 1848 et de l’héroïque Commune de Paris. La Commune de Paris permit d’ailleurs à Marx et à Engels d’enrichir en la rectifiant, cette science naissante de la révolution socialiste. On sait en effet, comment après la Commune de Paris, Marx et Engels déclarèrent qu’il ne suffisait [66] pas que la classe ouvrière s’empare de la machine d’État pour la faire servir à ses propres fins, mais qu’il fallait qu’elle détruise cette machine d’État de fond en comble pour en construire une nouvelle.

    L’enrichissement que Lénine a apporté à la science de la révolution socialiste est considérable. Mais cet enrichissement n’a pu naître aussi que de la pratique révolutionnaire du peuple ; du peuple russe en l’occurrence et de sa capacité à remporter, le premier dans l’histoire, une victoire décisive sur le régime d’exploitation.

    La science de la révolution socialiste est donc tout le contraire du dogmatisme. Elle s’élabore à mesure que se développe l’action révolutionnaire des peuples et comme nous sommes entrés dans l’ère de la révolution socialiste, il est naturel que le dogmatisme devenu intolérable, s’autodétruise du fait des contradictions internes qui le rongent.

    Les dogmatiques « marxistes-léninistes » affirment qu’il ne peut y avoir de socialisme scientifique que là où l’on applique le « marxisme-léninisme ». En conséquence, peut-on parler de socialisme scientifique algérien ? Non, puisque ni l’Algérie ni son Parti FLN ne se réclament du « marxisme-léninisme ».

    L’Algérie et le Parti du FLN se disent-ils communistes argumentent encore les dogmatiques « marxistes-léninistes » ? Non ! Alors, encore une preuve que le socialisme algérien n’est pas un véritable socialisme scientifique !

    Il faut répondre à ces « marxistes-léninistes » adversaires en fait de l’Algérie et de son avant-garde révolutionnaire. Il faut leur répondre non seulement pour défendre l’Algérie socialiste, mais aussi pour faire avancer la science de la révolution socialiste, la science de la révolution prolétarienne.


    C’est à la veille de la première révolution socialiste, celle des ouvriers parisiens de février 1848, que Marx et Engels rédigèrent le « Manifeste du Parti communiste », ce document fondamental de la science de la révolution prolétarienne.

    En 1890, dans la troisième préface à la réédition du « Manifeste » --- c’était après la mort de Marx --- Engels donnait cette précision combien intéressante à propos du titre du Manifeste :

    « Le socialisme signifiait en 1847, un mouvement bourgeois, le communisme un mouvement ouvrier. Le socialisme avait sur le continent tout au moins, ses entrées dans le monde ; pour le communisme, c’était exactement le contraire. Et, comme dès ce moment nous étions très nettement d’avis que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, nous ne pouvions hésiter un instant sur la dénomination à choisir. Depuis, il ne nous est jamais venu à l’esprit de la rejeter ».

    Mais si le Manifeste s’est dénommé Manifeste du Parti communiste, il faut bien constater que les Partis ouvriers d’Europe occidentale quand ils se constituèrent --- c’était encore du vivant d’Engels --- ne se dénommèrent pas « Partis communistes », mais « Partis social-démocrates ». Nous ne rechercherons pas ici les raisons qui motivèrent le renoncement à appeler les premiers Partis de la classe ouvrière d’Europe, « Partis communistes ». Nous le signalons seulement, comme nous signalons que Lénine, ce bâtisseur émérite du premier véritable Parti du prolétariat qui fut capable de construire le premier pouvoir ouvrier ne remît en cause l’appellation « Parti social-démocrate » qu’en avril 1917.

    C’est seulement en effet à cette date que Lénine dans son article : « Les tâches du prolétariat dans notre révolution Projet de plateforme pour le Parti du prolétariat » pose la question du changement de nom du Parti.

    « Nous devons, dit-il, appeler notre Parti, Parti communiste, comme l’ont fait Marx et Engels. Nous devons proclamer à nouveau que nous sommes marxistes et prenons pour base le Manifeste communiste lequel a été dénaturé et trahi par la social-démocratie sur deux points principaux : 1) les ouvriers n’ont pas de patrie : défendre la patrie dans la guerre impérialiste, c’est trahir le socialisme ; 2) la doctrine marxiste de l’État a été dénaturée par la IIe Internationale ». « De nombreux ouvriers, écrit encore Lénine, conçoivent la social-démocratie dans le bon sens, soit. Mais il est temps de savoir faire la différence entre le subjectif et l’objectif. Subjectivement, ces ouvriers social-démocrates sont des guides éminemment fidèles des masses prolétariennes. Mais la situation objective dans le monde est telle que l’ancienne dénomination de notre Parti facilite la duperie des masses, entrave le mouvement en avant. Car, à chaque pas, dans chaque journal, dans chaque fraction parlementaire, la masse voit des chefs, c’est-à-dire des hommes dont la parole est plus retentissante, dont l’action se voit de plus loin ; et tous ils sont des “social-démocrates-eux-aussi” ; ils sont tous “pour l’unité” avec les social-chauvins, traîtres au socialisme ; tous présentent, pour en recevoir le paiement, des traites anciennement tirées par la social-démocratie ».

    Et Lénine termine son article par cette formule brutale : « Il est temps de jeter la chemise sale, il est temps de mettre du linge propre. »

    Maintenant, il est aisé de poser la question : En quoi le peuple algérien et son avant-garde révolutionnaire ont-ils vécu l’expérience que nous venons de rappeler ? Ils ne l’ont vécu en rien.

    Le peuple algérien soumis en effet, à cent trente années d’un colonialisme sordide n’a pas eu à se dresser contre ceux qui « trahissaient le socialisme parce qu’ils voulaient défendre la patrie dans les cadres de la guerre impérialiste ». Ces problèmes appartiennent à la classe ouvrière des pays impérialistes d’Europe qui, pour avancer sur le chemin de la révolution socialiste, a dû rejeter les Partis social-démocrates et construire des Partis communistes. Le peuple algérien quant à lui a eu et a pour problème essentiel la restauration de l’indépendance de sa patrie, la réaffirmation de sa personnalité, la réappropriation de sa langue et de sa culture. En combattant pour une société sans colonialisme et sans exploitation, donc pour une société socialiste, il réglera tous ces problèmes.

    Mais est-ce à dire que le peuple algérien maintenant engagé dans la construction du socialisme ne reconnaisse pas la valeur de l’acquis révolutionnaire des autres peuples et particulièrement de ceux qui comme lui construisent scientifiquement le socialisme ? Le peuple algérien pratique une politique d’alliance de plus en plus étroite avec tous les États socialistes ; Marx et Lénine sont honorés en Algérie comme les plus remarquables représentants de la révolution socialiste. Et nous pouvons rappeler ici cette déclaration combien pertinente et hautement révolutionnaire du président Boumediene au séminaire sur le « socialisme dans le monde arabe » qui s’est tenu à Alger en mai 1967 :

    « Il nous faut être vigilants et prudents, lorsque nous définissons notre voie spécifique vers le [67] socialisme, car l’esprit réactionnaire a exploité cette vérité et l’a démesurément grossie jusqu’à en faire une diversification des socialismes dans leur essence… C’est pourquoi nous ne devons pas perdre de vue alors que nous essayons de tirer les enseignements de la diversité des voies du socialisme, que l’essence du socialisme est unique et qu’elle tend à libérer l’homme de l’exploitation et à permettre à ceux qui produisent de prendre les rênes de l’autorité économique et politique ».

    Philosophie marxiste et religion islamique

    Mais venons-en maintenant à l’argument de choc des doctrinaires « marxistes-léninistes » : la place que la religion islamique occupe en Algérie est la preuve irréfutable que celle-ci ne peut pas être engagée dans la construction scientifique du socialisme.

    Effectivement, la religion islamique occupe une place privilégiée en Algérie et l’on sait que le gouvernement algérien et le Parti du FLN affirment leur fidélité à la personnalité « arabo-musulmane » de l’Algérie.

    Nous allons traiter de cet attachement de l’Algérie à la religion islamique, mais auparavant il faut régler un autre problème qui n’est pas sans rapport avec celui de la religion : le maintien encore de nos jours, au sein du mouvement communiste de cette superstructure idéologique dénommée « philosophie marxiste » ou « matérialisme dialectique et matérialisme historique ».

    Disons tout d’abord, car cela est fondamental, que Marx, contrairement aux affirmations trop répétées, n’a pas créé la philosophie marxiste. Bien au contraire, il a lutté pour la destruction de toute philosophie, de toute idéologie, de toute superstructure aliénante.

    La rupture de Marx d’avec la philosophie et les philosophes s’est particulièrement réalisée dans cet ouvrage que Marx écrit en 1845 (donc avant le Manifeste du Parti communiste) en collaboration avec Engels : L’idéologie allemande. L’idéologie allemande est en fait la critique de toute idéologie, de toute philosophie et c’est pourquoi elle commence par les fameuses Thèses sur Feuerbach dont il est nécessaire ici de rappeler la première thèse et la onzième et dernière thèse.

    Première thèse. --- « Le principal défaut de tout le matérialisme passé --- y compris celui de Feuerbach --- est que l’objet, la réalité, le monde sensible n’y sont, considérés que sous les formes d’objet ou d’intuition, mais non pas en tant qu’activité concrète humaine, en tant que pratique, pas de façon subjective. C’est ce qui explique pourquoi le côté actif fut développé par l’idéalisme en opposition au matérialisme, mais seulement abstraitement, car l’idéalisme ne connaît naturellement pas l’activité réelle, concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets, réellement distincts des objets de la pensée, mais il ne considère pas l’activité humaine elle-même en tant qu’activité objective. C’est pourquoi, dans l’Essence du christianisme, il ne considère comme vraiment humaine que l’activité théorique tandis que la pratique n’est considérée et fixée par lui que dans sa manifestation juive sordide. C’est pourquoi il ne comprend pas l’importance de l’activité « révolutionnaire », de « l’activité pratique critique ».

    Onzième thèse. --- « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, mais il s’agit de le transformer ».

    Que vient de réaliser Marx dans cette critique sévère du philosophe matérialiste allemand Ludwig Feuerbach ? Il vient essentiellement de valoriser la pratique humaine ou autrement dit, la capacité créatrice de l’homme, contre toutes les formes de la spéculation. « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, mais il s’agit de le transformer » ! Voilà le nouvel objectif, le seul objectif que doit se donner le révolutionnaire. Aussi Marx, après L’idéologie allemande, n’écrira-t-il plus d’ouvrage de philosophie. La politique est l’essentiel, la politique révolutionnaire s’entend, car cette politique n’est autre que la science de la révolution socialiste, une science qui doit être pratiquée justement parce qu’elle est la science politique véritable, non par une élite, non par une catégorie de « spécialistes de la connaissance », mais par les masses, par les peuples qui pour prendre leur sort entre leurs mains doivent détruire la société d’exploitation et bâtir une société d’où sera bannie la propriété privée des moyens de production.

    C’est dans cette perspective que Marx s’attaquera alors bientôt à la rédaction du Capital, le Capital, ce procès de la société capitaliste, cette mise à nu de la mécanique d’exploitation au sein de la société bourgeoise et de la résistance que lui oppose la classe ouvrière ; résistance qui fait d’elle le successeur naturel de la bourgeoisie, le successeur qui peut créer la société socialiste, c’est-à-dire la société sans exploitation puis sans classe.

    La philosophie marxiste a été créée par Engels près de trente années après la rédaction de L’idéologie allemande. Elle a été créée après la mort de Marx et alors que le mouvement ouvrier était entré, dans les pays capitalistes d’Europe. (les seuls pays où il exista alors) dans une période de recul, une longue, très longue période de recul suite à l’écrasement de la Commune de Paris.

    Mettre en cause la philosophie marxiste ne signifie pas que nous contestions la justification historique, c’est-à-dire la raison d’exister de cette philosophie, car la science de la révolution socialiste implique au premier chef que les révolutionnaires ne « récrivent pas l’histoire ». Ils abordent l’histoire en critique, l’activité pratique critique leur servant non seulement à comprendre l’histoire, mais à aider au dépassement des situations historiques antérieures.

    La philosophie marxiste, de par son contenu et son histoire, est avant tout, une philosophie de résistance à la philosophie idéaliste qui, profitant du recul du mouvement ouvrier, introduisit au sein de celui-ci, une partie de ses idées. Cette philosophie idéaliste au temps d’Engels puis de Lénine se dénommait néo-kantisme et sa caractéristique principale était de contester à l’homme son infinie capacité à connaître.

    La philosophie marxiste a combattu ce scepticisme propagé naturellement par les idéologues, les philosophes de la bourgeoisie. Marx a écrit dans La Question juive que « l’aliénation est la pratique du dessaisissement ». Les idéologues, les philosophes de la bourgeoisie contribuent à leur manière à l’aliénation des hommes et particulièrement à l’aliénation de la classe ouvrière. Or, n’est-ce pas pousser celle-ci à se dessaisir de ses possibilités [68] créatrices que de répandre parmi elle et même jusqu’au sein de son avant-garde révolutionnaire, que l’homme de toute façon, n’a pas le pouvoir de connaître ni la totalité du monde qui l’entoure, ni même ce qu’il est réellement puisqu’il s’affrontera toujours à des limites infranchissables… limites mystérieuses, limites dues aussi naturellement en dernière analyse à l’existence d’une force surnaturelle qui s’incarne en dieu.

    Ce combat philosophique devait se mener pour sauvegarder l’intégrité révolutionnaire du mouvement ouvrier d’Europe, y sélectionner les vrais révolutionnaires et forger le Parti bolchevik de Russie qui fût capable de se lancer dans l’action révolutionnaire au moment voulu, pour transformer du tout au tout, la Russie tsariste.

    Il reste évidemment à dire pourquoi après cette victoire, non seulement la philosophie marxiste, cette superstructure idéologique, a subsisté, mais pourquoi aussi elle s’est développée.

    Encore une fois, la raison en est dans la nécessaire action de défense face à toutes les formes de pénétration au sein de la classe ouvrière et de son avant-garde, de l’idéologie de la bourgeoisie. Idéologie contre idéologie. Philosophie contre philosophie. Il faut bien admettre que tant que la classe ouvrière n’est pas capable de s’attaquer à la transformation révolutionnaire de la société d’exploitation, c’est sur ce terrain, c’est-à-dire à ce niveau que se mène, pour une large part, le combat de classe.

    Mais nous vivons la fin de cette époque et c’est pourquoi sonne le glas de la philosophie marxiste, le glas des idéologies, le glas de leurs défenseurs, les philosophes, les idéologues, les doctrinaires. C’est pourquoi aussi surgit dans le mouvement communiste et dans le pays capitaliste d’Europe occidentale qui va certainement vivre la première grande révolution socialiste, la France, un courant de révolutionnaires qui, remettant en cause tous les tabous, s’attaque à la spéculation philosophique marxiste, à la spéculation dogmatique afin de revaloriser totalement la pratique révolutionnaire et de briser les barrières oui séparent des peuples, tels le peuple algérien et le peuple français, que tout devrait unir, dans le combat commun pour le socialisme.


    On peut lire dans la Charte d’Alger, adoptée par le premier congrès du FLN en avril 1964, les passages suivants :

    « L’Algérie est un pays arabo-musulman. Cependant, cette définition exclut toute référence à des critères ethniques et s’oppose à toute sous-estimation de l’apport antérieur à la pénétration arabe. La division du monde arabe en unités géographiques ou économiques individualisées n’a pu reléguer à l’arrière-plan les facteurs d’unité forgés par l’histoire, la culture islamique et une langue commune. Profondément croyantes, les masses algériennes ont lutté vigoureusement pour débarrasser l’islam de toutes les excroissances et superstitions qui l’ont étouffé ou altéré. Elles ont toujours réagi contre les charlatans qui voulaient en faire une doctrine de la résignation et l’ont associé à leur volonté de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. La révolution algérienne se doit de redonner à l’islam son vrai visage, visage de progrès. L’essence arabo-musulmane de la nation algérienne a constitué un rempart solide contre sa destruction par le colonialisme. La suppression brutale des institutions, l’appropriation directe des terres, des moyens d’échanges et de l’appareil étatique par une minorité étrangère implantée à la faveur de la conquête n’a pas empêché le peuple algérien de reconstruire une vie sociale nouvelle. Elles ont seulement donné un cachet spécifique aux problèmes agraire et culturel et aux questions de l’encadrement administratif et technique. […]

    « En Algérie, l’islam n’a pas été seulement une religion tolérante, mais un ferment social libérateur. Il a rendu la terre aux anciens serfs des colons romains, et ouvert largement la voie à la science et au progrès. Il y a des journalistes, des hommes politiques et de pseudo-savants à la solde du colonialisme qui ont voulu inculquer à des générations entières d’Algériens que l’islam était un obstacle au progrès. Notre révolution démontre depuis un an et demi que l’islam a sur cette terre, malgré les réactionnaires et les éléments rétrogrades soucieux de maintenir leurs privilèges, porté à leur plus haut niveau les principes de la solidarité humaine et de la justice sociale.

    « Nous irons de l’avant et, dans le respect de nos traditions arabo-islamiques, nous construirons le socialisme. Que ceux qui veulent souiller l’islam en essayant de l’utiliser dans un sens hostile au progrès sachent qu’ils ne pourront continuer indéfiniment à agir de la sorte, car ils n’ont pu le faire jusqu’à présent qu’en profitant d’une tolérance excessive de notre part et d’une certaine contusion qu’ils contribuent d’ailleurs largement a maintenir l’islam, loin d’être contraire à notre option, s’identifie, dans l’esprit des masses, à 1 égalité et va donc dans le sens du socialisme. »

    « Il est indiscutable que l’islam a constitué un pôle de résistance essentiel au colonialisme, résistance d’autant plus motivée que, dès les premiers jours de la colonisation, les conquérants accompagnés de leurs « missionnaires » chrétiens s’attaquèrent non seulement à la religion musulmane, mais aussi aux richesses matérielles que ses adeptes avaient accumulées en son nom, au cours des siècles, les biens habous.

    « En 1830, deux mois après l’occupation d’Alger, le gouvernement français décidait que tous les biens habous devaient rentrer dans le domaine public et être régis à son profit. Cette brutale annexion des biens dévolus aux « villes saintes » souleva une grande indignation dans le peuple algérien ; aussi le gouvernement français recula-t-il en admettant que les biens habous seraient gérés par des administrateurs musulmans sous la surveillance du gouvernement français. Mais cette tolérance ne fut pas de longue durée puisque, par un arrêté du 7 décembre 1830, le général Clauzel stipulait que : « tous les biens habous seraient à l’avenir régis, loués ou affermés par l’administration des domaines, qui en touchera les revenus ».

    « Ce vol caractérisé fut accompli avec la bénédiction des autorités catholiques, papauté comprise. L’on sait d’ailleurs que la mosquée d’Alger fut retirée au culte musulman pour devenir l’église de la religion des conquérants, la religion catholique. Dans La critique de la philosophie de l’État de Hegel, Marx écrit :

    « De même que la religion ne crée pas l’homme, mais que l’homme crée la religion, ce n’est pas la constitution qui crée le peuple, mais le peuple qui crée la constitution. »

    C’est « l’homme qui crée la religion ». Effectivement, mais les religions ont leur histoire, une histoire qui ne se sépare pas de l’histoire générale de l’humanité, c’est-à-dire plus précisément de l’histoire de la lutte des classes.

    [69]

    La religion chrétienne et ses églises ont été et sont encore de terribles instruments d’oppression et de régression. Qu’elles couvrent encore aujourd’hui les pires crimes de l’impérialisme est bien la preuve qu’elles sont le produit de la société d’exploitation, et que leur sort est, en définitive, lié à l’existence même de cette société.


    Il faudrait suivre dans son déroulement l’histoire de l’islam. Nous ne pouvons le faire ici. Mais retenons qu’il y a présentement, et le passage de la Charte d’Alger que nous avons reproduit le confirme, plusieurs façons de pratiquer l’islam.

    La révolution socialiste algérienne se veut porteuse d’un « islam qui dans l’esprit des masses s’identifie à l’égalité et va donc dans le sens du socialisme ». Mais cette pratique de l’islam est évidemment fort différente de celle dont se revendique le régime de Bourguiba en Tunisie, ou celui d’Hassan II au Maroc ou celui de Hussein en Jordanie.

    En juillet 1968, M. Larbi Saadouni, ministre algérien des Habous, déclarait dans une conférence de presse :

    « Le sens des affaires aidant, à défaut de sens mystique, on assiste au spectacle incroyable en pays d’islam, de gens qui monnayent le ciel, et ils osent invoquer la mystique ! La mystique musulmane, issue d’une méditation intense du Coran, n’a évidemment rien à voir avec ces tartufferies. Comment la laisserions-nous profaner par le charlatanisme ? Celui des alouias par exemple, qui incarne sinistrement l’art d’usurper la religion, pour combattre le socialisme ; inspirée du dehors dans son action, cette secte où l’islam n’a trouvé que des clients à défaut de serviteurs, est d’ailleurs étrangère d’esprit à tout ce qui fait notre foi. Celui encore des bahaïs, les nouveaux musaïlimas, d’un messianisme nouveau, et qui tout simplement se présentent comme de nouveaux prophètes. Celui enfin du trio d’Al-Harrach, nostalgique d’une association dissoute et dont l’exhibitionnisme religieux ne dissimule qu’imparfaitement les féroces ambitions politiques ».

    Il est nécessaire de signaler également la récente enquête d’El Moudjahid sur le Cheikh des alaouites, enquête parue sous le titre Les Alaouites ou l’islam des hommes d’affaires. El Mehdi Bentounès, chef de cent mille alaouites, qui prétend représenter le véritable islam, s’y défend d’être un agent de la CIA, s’y défend de « faire de la politique » et y apparaît cependant comme étant tout simplement un ennemi de l’Algérie socialiste. D’ailleurs, El Moudjahid concluant son enquête écrit dans un article intitulé : « Une affaire à suivre » :

    « Le reporter de notre journal a fait son enquête et vient d’en exposer les résultats aux lecteurs trois jours durant. Dans ses recherches qu’il a élargies au maximum, il a pu constater de nombreuses anomalies, des dépassements voire des phénomènes qui frisent l’escroquerie morale. Des questions graves ont été soulevées, qui relèvent de l’autorité, voire de la sécurité de l’État. Des réponses claires restent à donner… Ainsi les fonctionnaires (ceux-là mêmes que notre reporter a vus si obséquieux à l’égard du Cheikh) doivent avoir une juste conscience de leur véritable devoir, de la véritable autorité à laquelle ils sont tenus d’obéir. Et s’il le faut, qu’ils y soient rappelés ! »

    Enfin, il convient aussi de citer cet extrait du discours que M. Larbi Saadouni prononça à l’occasion du millénaire de la mosquée de Sidi Mérouane, discours reproduit dans El Moudjahid du 18 octobre 1968 :

    « Il n’est plus possible à une époque comme celle-ci que les musulmans se partagent encore entre des dizaines de sectes qui se contredisent jusqu’à prendre une forme d’orientation politique, de fanatisme tribal ou d’organisation sociale. C’est en effet une comédie tragique que les fils d’une même religion, qui se réfèrent à un même Livre dont le texte fait l’unanimité de tous, se partagent en clergés fanatiques créant de nouvelles idoles en se basant sur les commentaires des exégètes, des jurisconsultes et des imams et contribuent ainsi à désunir au lieu d’unir, de rassembler et de rapprocher. M. Saadouni a ensuite mis en garde les fidèles contre les exagérations qui sont faites en ce qui concerne la complémentarité de la religion et de la science en se basant sur le verset du Coran “Nous n’avons rien oublié dans le Livre”, tentant ainsi à faire supporter à la religion plus que ce qu’elle ne peut supporter. »

    Le socialisme scientifique algérien

    Le conflit qui divise le monde musulman n’est pas dû au hasard. Ce n’est pas non plus un conflit conjoncturel, car comment ne pas penser qu’il est le produit de l’inévitable contradiction qui surgit à mesure du développement de la société socialiste, entre théorie socialiste scientifique et religion.

    Nous sommes convaincus quant à nous que les philosophies, les idéologies, les religions ne représentent qu’un moment de l’histoire de l’humanité tandis que la science (cette pratique consciente de l’homme pour transformer le réel à son profit) en exprime l’universalité, l’infinité.

    Quels que soient les chemins parcourus et les expériences vécues, la rencontre révolutionnaire entre les peuples qui luttent pour une société sans exploitation est inéluctable. Elle est inéluctable parce que la révolution socialiste est unique dans son essence et que la science de la révolution socialiste se constitue, comme toutes les sciences, des multiples contributions de ceux qui la pratiquent.

    Il ne s’agit pas pour nous de renvoyer dos à dos philosophie marxiste et islam. Il s’agit seulement de voir la réalité humaine telle qu’elle fut et telle qu’elle est et d’en tirer des enseignements théoriques qui permettent aux authentiques révolutionnaires de renforcer leur action et leur unité de combat.

    La science de la révolution socialiste n’est pas et ne peut pas être déterminée une fois pour toutes. Elle a ses fondateurs, mais elle a aussi ses continuateurs.

    Des centaines de millions d’hommes pratiquent de nos jours la politique, c’est-à-dire participent [70] consciemment à l’organisation et au développement de la société dans laquelle ils vivent. Ainsi sonnera le glas des privilèges et des injustices sociales ; ainsi sonnera le glas de cette forme de société qui, depuis des millénaires, veut que les uns subjuguent les autres, que les uns vivent même exclusivement du travail des autres.

    La remarquable victoire que l’Algérie a remportée sur le colonialisme et les progrès incessants qu’elle réalise dans la construction du socialisme, lui donnent et lui donneront de plus en plus, une place de premier plan dans l’enrichissement de la science de la révolution socialiste.

    Nous avons amplement montré comment la science préside à la construction de la nouvelle société algérienne, mais il faut encore s’arrêter pour conclure à ce qui constitue la preuve la plus indiscutable de cette construction scientifique du socialisme : la formation du Parti.

    Le Parti, c’est la conscience de la révolution. C’est lui qui représente au niveau le plus élevé la volonté et la capacité de construire cette nouvelle société qui tend à donner le plus possible aux hommes et à leur faire donner le meilleur d’eux-mêmes.

    Il n’y a pratiquement pas de nos jours d’État socialiste où ne se pose le problème de revoir, de repenser la question du Parti afin de faire de celui-ci un vrai Parti d’avant-garde, un vrai Parti révolutionnaire. Dans les pays capitalistes comme la France où existe un vieux et puissant Parti communiste, tout est à revoir en ce qui le concerne puisqu’indiscutablement il faut le libérer du conservatisme, du légalisme, du bureaucratisme et de l’impuissance dans lesquels il est englué.

    Cette exigence historique est profondément positive pour la révolution algérienne, car l’on ne pourra encore longtemps dans le mouvement international « marxiste-léniniste », ignorer les découvertes et les succès que l’Algérie remporte justement dans la construction du Parti révolutionnaire d’avant-garde.

    Pour ce qui nous concerne, nous savons, nous communistes révolutionnaires français, ce que l’Algérie a déjà apporté à la science de la révolution prolétarienne ; nous le savons et sommes décidés à le faire savoir. C’est pourquoi ce travail collectif, cette brochure ont été réalisés.