Média communiste pour toute l'Europe
fondé par Michèle Mestre
12/1968 · Le socialisme scientifique algérien · p. 5-8
Sommaire de la brochure
  • Éditorial
  • Une civilisation d'une grande richesse
  • Ibn Khaldoun, précurseur de la science historique
  • Colonialisme et personnalité algérienne
  • Un peuple qui jamais ne renonça
  • Trois dates historiques : le programme de Tripoli, la Charte d'Alger, les documents du 19 juin
  • La reconstruction révolutionnaire du parti du FLN
  • Développement économique et planification
  • L'UGTA et la construction du socialisme
  • Armée nationale populaire, base décisive de la révolution
  • Document : « Notre justice doit-être révolutionnaire au service du peuple et à sa portée »
  • L'Union nationale des femmes algériennes
  • Pour une véritable coopération franco-algérienne
  • L'important développement de la coopération Algérie-URSS
  • L'Algérie au premier rang des luttes anti-impérialistes
  • Une grande admiration pour Marx, Lénine et la révolution d'Octobre
  • Karl Marx en Algérie
  • Lénine et les « Thèses d'Avril »
  • Grande révolution d'Octobre, un événement qui a ébranlé le monde
  • Marxisme et socialisme scientifique algérien
  • Une civilisation d'une grande richesse

    L’Algérie est partie intégrante de la civilisation arabe. On ne peut comprendre le peuple algérien si on méconnaît la profondeur de son attachement à cette civilisation.

    La civilisation arabe est une des plus riches de l’histoire humaine, et l’Algérie lui a apporté une importante contribution au cours des siècles. Cependant, en France, la civilisation arabe est largement ignorée, son rôle grossièrement sous-estimé. Elle tint pourtant jusqu’au XV^e^ siècle une place prédominante dans l’histoire universelle. Elle sut préserver le patrimoine des civilisations passées (grecque notamment). Son propre dynamisme lui valut une influence prédominante. Elle fut l’inspiratrice de la « Renaissance » de l’Europe.

    La colonisation des pays arabes eut pour conséquence l’oubli des réalisations d’un peuple qui assit jadis sa souveraineté de l’Espagne à l’Inde. Actuellement encore, les livres qui paraissent en France traitant de la civilisation arabe tendent, en règle générale, à dévaloriser cette civilisation. Il s’agit là d’une déformation symptomatique due à la pression impérialiste, ce qui a évidemment pour première conséquence de rendre les historiens traitant des questions arabes incapables d’atteindre à l’universalité historique.

    Les apports de la civilisation arabe à la civilisation universelle

    L’histoire de la civilisation arabe, comme celle de toutes les civilisations du passé, est indissociable des formes religieuses qu’elle revêtit. Mais la religion n’est pas le moteur de l’histoire. Aussi mettrons-nous d’abord l’accent sur un aspect déterminant, pourtant négligé par la plupart des historiens des pays impérialistes : l’essor économique engendré par le dynamisme du peuple arabe, qui le mit à l’avant-garde de l’humanité pendant plusieurs siècles.

    Le problème de l’agriculture avait jadis une importance encore plus grande qu’aujourd’hui. De cette question dépendait en effet essentiellement l’avenir des sociétés. Les Arabes ont fait succéder aux immenses domaines agricoles des conquérants de l’Antiquité la propriété familiale de la terre, et souvent, comme ce fut le cas en Algérie notamment son exploitation collective (terres arch). Cet état de choses correspondait à une large régression de l’esclavagisme. Sur cette base, de grands progrès furent accomplis dans le domaine agricole. L’irrigation des terres fut utilisée sur une grande échelle. De nouvelles cultures furent entreprises, telles celles du riz et de la canne à sucre. Des élévateurs d’eau mécaniques furent mis en service et le moulin à vent fut couramment utilisé à une époque où l’Europe ignorait sa pratique.

    Progrès techniques et développement de l’artisanat et de l’industrie s’engendrèrent mutuellement. La confection du papier bon marché à partir du coton fut une découverte capitale puisqu’elle permit la fabrication des livres, et de ce fait une plus large appropriation des connaissances humaines. De cette invention découla celle des premiers procédés d’impression.

    Dans le domaine de l’habillement et de la décoration, les Arabes confectionnèrent en grande quantité des soieries, des velours, des broderies. Leurs procédés de fabrication les plaçaient à l’avant-garde de la technique (certains mots, tel mousseline --- de Mossoul --- sont restés dans le langage courant). Ils exportaient largement leur production.

    Des progrès appréciables furent également accomplis dans le travail des métaux. On perfectionna les opérations métallurgiques. On obtint des aciers de qualité, dont témoignait la réputation des armes et des armures arabes. Damas a d’ailleurs laissé son nom à la technique du « damasquinage ». Par ailleurs, l’industrie du cuir était très développée à Cordoue et au Maroc (d’où les mots cordonnier et maroquinier). Le gaufrage et le tannage y étaient pratiqués de façon originale.

    Pour mesurer l’importance des arsenaux arabes au Moyen Âge, il faut savoir que la flotte arabe constitua une force sans égale en Méditerranée pendant plusieurs siècles. En 655, deux cents navires arabes défirent la flotte byzantine, portant un coup décisif à l’Empire byzantin, qui avait succédé au Moyen-Orient à l’Empire romain. Dans le domaine de la navigation, les termes tirés de l’arabe sont d’ailleurs nombreux. Citons les mots : amiral, arsenal, câble, chaloupe, barque, etc.

    Les Arabes furent les premiers, selon toute vraisemblance, à utiliser l’aiguille aimantée, qui annonçait la boussole, et cela dès le XI^e^ ou le XII^e^ siècle (un navigateur arabe, Baylak Al Quabadjaki, fait mention de son usage dans un livre, vers 1282). L’extension intercontinentale de leur influence conduisit les Arabes à sillonner les mers tant en Méditerranée que du golfe Persique à l’Inde et la Chine.

    L’essor économique des pays arabes s’accompagna d’un développement sans précédent des sciences. En mathématiques, Al Khwarizimi fut, dès le IX^e^ siècle, l’inventeur d’un procédé de calcul appelé algorithme. Mohammed Ibn Ahmad préconisa en 976 la numération décimale. En algèbre (du mot arabe al-djabr), l’histoire retient principalement deux noms : Mohammed ben Mouza et Omar Khayyan. Par ailleurs, les Arabes furent les initiateurs de la trigonométrie moderne avec Abdallah al Barani (929), puis plus tard avec Hassan al Marrakishi (de Marrakech) et Nadir Ud Din al Tusi. En chimie, les chercheurs arabes firent faire à cette science un énorme bond en avant. Ils vérifièrent leurs hypothèses par la pratique de l’expérience, créant pour cela l’alambic (al ambic). Le nom le plus fameux qui marqua cette science est celui de Geber (qui vécut au VIII^e^ siècle).

    Les Arabes fournirent une pléiade d’astronomes : Fargham (Alfargamus) au IX^e^ siècle, Battany au X^e^ siècle, Ali Ibn Yunus, Abul Wafa, Ibrahim el Zarkali, Al Bitruji, etc. Le renom de l’observatoire de Bagdad fut international. L’astrolabe, instrument destiné à mesurer la position des astres, est d’invention arabe et servie aux navigateurs pendant plusieurs siècles. De nombreux noms d’étoile sont d’origine arabe ainsi qu’un certain nombre de termes techniques (azimut, zénith, nadir, etc.) ; ils témoignent du passé prestigieux de la science arabe.

    En géographie, la science cartographique se développa avec Edrisi (XII^e^ siècle). Il va de soi que cette science ne pouvait progresser qu’à partir d’une juste appréciation de la rotondité de la Terre. Les progrès des mathématiques rendirent possible une grande exactitude dans les évaluations.

    La science médicale s’épanouit particulièrement du VII^e^ au XIII^e^ siècle. Son apport à la médecine contemporaine a été décisif. Citons le nom de Razes (844-926), dont l’œuvre la plus célèbre : Traité de la variole et de la rougeole fut traduite en Angleterre jusqu’en 1866 ; citons aussi Abu Ali al Huseisi Ibn Sina, dit Avicenne (980-1037), que l’on appela le « prince des médecins » et dont le Canon de la médecine, son œuvre principale demeura le livre de base des études en Europe pendant six siècles. Rappelons aussi le nom d’Ali Ibn Isa, qui écrivit le Mémorandum des oculistes, longtemps demeuré un ouvrage de référence, et le nom d’Al Mahosin, qui le premier pratiqua la succion de la cataracte et inventa l’aiguille creuse. Enfin, mentionnons le traité d’optique d’Ibn al Haitham resté célèbre pendant plusieurs siècles.

    La chirurgie fit des progrès notoires, illustrés en particulier par la personnalité d’Abdul Kasim al Zahrawi (936-1013), connu sous le nom d’Abduicassis dont les ouvrages furent édités jusqu’au XIX^e^ siècle. Averroès Ibn Rochd (1126-1198), médecin et théoricien, laissa son nom à la postérité à ce double titre. Le maître de ce dernier, Abou Merwan Ibn Zohr, dit Avenzoar, laissa un livre, Le Teysir, qui exerça une influence durable sur la médecine expérimentale européenne. Dans le domaine des réalisations pratiques, signalons que les hôpitaux arabes étaient réputés pour leurs installations, alors sans équivalent.

    La botanique témoignait des progrès en matière d’agriculture et de médecine. En 1190, Ibn Al Awan décrivit, dans son Livre du paysan, les plantes, les arbres fruitiers, les principaux sols et engrais. Son influence fut grande. D’autres auteurs s’intéressèrent au caractère médicinal des plantes. La société arabe produisit alors des savants aux connaissances universelles. Des hommes comme Avicenne, le plus célèbre de tous, ou comme Al Biruni, avaient un savoir étendu dans les disciplines les plus diverses. Ainsi Al Biruni était médecin, astronome, mathématicien, physicien, chimiste, géographe, historien et poète tout à la fois.

    Les principales villes arabes abritaient d’importantes bibliothèques. Dès le IX^e^ siècle, on procéda à la traduction massive des auteurs grecs. À partir du X^e^ siècle, il y avait au Caire une bibliothèque de 1 600 000 volumes. Les historiens citent les bibliothèques de Bagdad, Mossoul, Boukkara, d’Arabie du Sud, etc., alignant des chiffres révélateurs : 40 000, 70 000, 100 000, 400 000 volumes…

    Dans le domaine de l’art, la civilisation arabe a légué à l’humanité les produits les plus nobles du travail humain. De l’Asie à l’Espagne, des monuments, des palais, des mosquées ont été préservés de la destruction. Ils attestent que les architectes et les ouvriers arabes étaient en possession d’une technique originale, qui traduisait une éthique propre à leur civilisation. Cet art magnifique exerça un grand attrait. La voûte à nervures, qui caractérise l’art gothique en Europe, fut, assure-t-on, empruntée aux réalisateurs arabes. D’autre part, l’art de la céramique fut pratiqué avec le plus grand talent dès le IX^e^ siècle (mosquée de Sidi Oqba à Kairouan, par exemple). La verrerie, la reliure, la poterie, la calligraphie, l’orfèvrerie, la tapisserie connurent un véritable âge d’or. Les artisans arabes créèrent de réels chefs-d’œuvre dont certains sont encore exposés dans divers musées.

    Les pays qui ont participé à la civilisation arabe tiennent à juste titre au rôle qu’ils y ont joué et évoquent les liens indestructibles qui les lient à leur passé. On comprend que l’Algérie, colonisée, piétinée, dépersonnalisée pendant près d’un siècle et demi attache aujourd’hui une grande importance à sa propre histoire, à celle de son peuple, partie intégrante de l’histoire du Maghreb et du peuple arabe tout entier.

    Après avoir donné un aperçu rapide de l’histoire générale de la civilisation arabe, nous nous arrêterons maintenant sur une partie de cette civilisation que constitue le passé du Maghreb : l’histoire de l’Algérie.

    L’Algérie du VII^e^ au XIV^e^ siècle

    Quand, dans la dernière moitié du VII^e^ siècle, les Arabes pénétrèrent en Afrique du Nord sous le commandement du général Oqba Ibn Nafi, cette région était encore sous la domination byzantine, domination farouchement combattue. L’Afrique du Nord, qui avait aussi l’expérience de la colonisation romaine, adopta rapidement la civilisation arabe. La nouvelle société plus juste et plus fraternelle, qui se créait ainsi devait, douze siècles plus tard, trouver en elle assez de force pour résister à l’impérialisme et finalement le vaincre.

    Pour l’heure, la Libye antique devint le Maghreb. Ses habitants adoptèrent l’islam et rejetèrent la religion chrétienne, que ce soit sous sa forme romaine, byzantine, ou sous la forme du schisme donatiste. À travers les aléas de l’histoire, les oppositions d’intérêt et les luttes qu’elle engendra, l’arabisation fut le facteur déterminant qui souda le Maghreb à l’ensemble des pays arabes. Les schismes religieux eux-mêmes, nombreux et répétés, ne parvinrent pas à altérer la vivante unité du peuple arabe.

    La contestation du pouvoir politique central engendra des divergences sur la façon dont les khalifes --- chefs politiques et religieux fixés à Bagdad --- devaient [7] être désignés. De cette situation résulta la création de trois royaumes au Maghreb (royaume des Aghlabides en Tunisie, des Rostémides en Algérie, des Idrissides au Maroc). C’est ainsi que naquit le premier État algérien en 761, qui devait exister jusqu’en 921 et dont la capitale était Tiaret. Ibn Rostem, premier imam (chef politique militaire et religieux), donna son nom au royaume (Rostémides). Alors que pour les musulmans orthodoxes le khalife devait être désigné parmi les premiers compagnons ou descendants du prophète Mohammed, les Rostémides demandaient qu’il soit choisi pour sa valeur personnelle.

    L’artisanat, le commerce, l’élevage et l’agriculture se développèrent rapidement en Algérie. Les arts --- l’architecture surtout --- la culture et l’enseignement connurent un tel essor que les savants et les artistes venaient de tout l’Orient à Tiaret, qui rivalisait avec Bagdad. Pendant le même temps, Kairouan, capitale du royaume des Aghlabides, était réputé pour ses tissages et sa verrerie. Il était aussi un important centre artistique et culturel.

    Au début du X^e^ siècle, un bouleversement politique de grande portée, et que les historiens algériens qualifient de révolutionnaire, intervint au Maghreb. Les partisans du mouvement chiite, implantés tout d’abord dans le Nord constantinois, préconisaient l’attribution des pouvoirs politiques aux héritiers directs du prophète Mohammed --- à sa fille Fatima, d’où leur nom de Fatimides. Ce mouvement, qui s’opposait aux Abbassides et aux pouvoirs locaux, fut si puissant qu’il se répandit dans tout le Maghreb. De 708 à 921, l’État fatimide supplanta les royaumes des Aghlabides, des Rostémides et des Tdrissides. Débordant le cadre du Maghreb, le mouvement gagna l’Égypte. C’est à cette époque que fut fondée la ville du Caire. Les khalifes fatimides confièrent le pouvoir en Afrique du Nord à la famille de Ziri, un de leurs officiers (973), qui construisit une capitale en Algérie : Achir. Son fils, Bologuim, devait fonder Alger, Miliana, Médéa et Oujda. Ce pouvoir cependant se scinda. En Algérie, l’État hammadide imposa sa souveraineté (les Hammadides étaient les alliés de Ziri).

    Pendant toute cette époque, le pays connut une grande prospérité. Bougie fut une capitale dont les échanges de tous ordres, la culture, l’enseignement lui valurent un grand rayonnement à travers le bassin méditerranéen. Bougie fut un des relais qui permit à l’Europe de la Renaissance de puiser aux sources de la civilisation arabe.

    La lutte contre la tribu des Béni Hilal, soutenue par Le Caire, contribua à affaiblir ces deux États.


    Aux États déchus succédaient de nouveaux États. En 1056 naquit le prodigieux mouvement almoravide. Les Almoravides --- une communauté militaire et religieuse du Sud marocain --- conquirent d’abord le territoire mauritanien avant de gouverner le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Andalousie et une partie du royaume du Ghana. Sous la conduite de leur émir Yousouf Ibn Tachfin, ils firent régner leur autorité sur plus de la moitié de l’Espagne, déjà arabisée, mais menacée par la féodalité chrétienne. L’empire almoravide dura environ un siècle (1055 à 1146). C’est à cette époque que fut construite la grande mosquée d’Alger et surtout celle de Tlemcen (1136), chef-d’œuvre d’architecture.

    Une autre communauté religieuse, celle des Almohades (al Mowahidoum : ceux qui proclament l’unicité de Dieu), qui avait l’appui des tribus des montagnes marocaines, défit l’armée almoravide. Sous la conduite d’Abdel-El-Moumin, les Almohades avaient rassemblé sous leur autorité, en 1160. Le Maghreb et l’Espagne arabe. Le nouvel empire administra le Maghreb et sut rétablir pratiquement son unité.

    Des hommes de science (dont Ibn Tofaiî et Ibn Rochd furent les plus célèbres) vivaient à la cour des souverains almohades. Le développement culturel connut un grand essor. L’enseignement se généralisa. Des universités de renommée internationale telles que Fès, Tlemcen, Bougie, Constantine, Tunis comptaient des milliers d’étudiants, parmi lesquels il y avait des Européens. Des monuments artistiques créés à cette époque, il reste entre autres la mosquée d’Hassan à Rabat, la Koutoubiva de Marrakech, la Giralda de Séville. Mais il ne reste rien en Algérie des splendides réalisations de l’empire almohade, qui en 1229 fut disloqué.

    À la fin du règne almohade, l’État de Tlemcen, celui des Abdelwadites, proclama le premier son indépendance (1235). Il fut suivi peu après par ceux des Hafcides en Tunisie et des Mérinides au Maroc. Ces États connurent des périodes de coalition et de conflit.

    Fondé par un grand chef militaire et politique, Yaghmoracen, l’État algérien eut Tlemcen pour capitale. Les successeurs de Yaghmoracen furent des constructeurs, des administrateurs et des hommes de guerre de grand talent. Cet État, qui imposa son existence et veilla courageusement sur ses institutions et sa civilisation, devait s’éteindre en 1554. Durant tout le règne de l’État abdelwadite (1235-1554), Tlemcen fut un foyer de civilisation et d’art. C’est dans l’Algérie de cette époque qu’Ibn Khaldoun, le précurseur de la science historique, entreprit d’écrire son œuvre. Il enseigna à la grande medersa de Tlemcen, fondée en 1347, une des plus belles universités de tout le Maghreb. Sous Abou Hammou, un des successeurs de Yaghmoracen, la vie sociale s’épanouit. Cet État, convoité de tout côté, a été une des citadelles de la civilisation arabe au Maghreb.

    La lutte de l’Algérie dans le grand combat pour la défense de la civilisation arabe

    L’année 1554 marque la fin du règne de l’État abdelwadite. Nous sommes à un moment décisif dans l’histoire générale de l’Algérie et de l’Afrique du Nord.

    Dans la seconde moitié du XV^e^ siècle, la féodalité chrétienne d’Espagne et du Portugal parvint à repousser les Andalous musulmans de ces deux pays dans le sud de la péninsule. En 1492, le dernier royaume arabe d’Espagne, celui de Grenade, tombait entre les mains des rois catholiques. Les Andalous qui refusaient d’abjurer la religion musulmane durent s’exiler au Maghreb. Les Portugais et les Espagnols menacèrent bientôt tout le Maghreb, s’emparant de nombreux ports de la côte méditerranéenne : Mers-El-Kébir, Oran, Bedjaïra, Ténès, Dellys, Cherchell, Mostaganem, etc. Les Espagnols s’installèrent même sur un des îlots rocheux situés en face d’Alger (le Penon) et en firent une forteresse.

    Le peuple algérien, menacé dans son existence nationale par l’Espagne, fit alliance avec les frères Barberousse, grands capitaines d’origine grecque, de confession musulmane, dévoués à la cause arabe, et plus spécialement algérienne, comme l’histoire le prouva. Les frères Barberousse disposaient en Méditerranée d’une puissante flotte de guerre. Leur alliance avec le peuple algérien permit de constituer [8] un nouvel État, dont Alger devint la capitale en 1525.

    Les conditions nationales, politiques et militaires se mettaient ainsi en place pour que le peuple algérien résiste à l’Espagne. En 1541 se produisit l’étonnante victoire algérienne sur l’armada de Charles Quint, venu conquérir la capitale avec cinq cents navires et trente-six mille hommes, et en 1558 l’Algérie infligea un nouveau désastre à l’Espagne, qui voulait s’emparer de Mostaganem. Dès 1543, Tlemcen était délivrée de la suzeraineté des conquistadores. Les principautés régionalistes et féodales qui subsistaient encore en Algérie disparurent à cette époque au profit d’un pouvoir, certes autoritaire, mais unificateur, et dont l’objectif supérieur était d’arrêter les invasions.

    Le nouveau pouvoir algérien avait recherché l’alliance de la Turquie et de sa flotte puissante. En échange, il reconnaissait la suzeraineté de Constantinople (1518). Kheir Ed Dine, l’un des deux frères Barberousse, obtenait l’autorité officielle de Beylerbey (émir des émirs). L’Algérie recevait l’appui de l’armée turque. Plus tard, en 1587, le sultan de Turquie n’attribua plus le titre de Beylerbey, mais seulement celui de pacha --- c’est-à-dire de gouverneur. L’Algérie devenait une province de l’Empire turc. C’est l’époque de la Régence d’Alger. On a beaucoup épilogué sur l’étendue des pouvoirs des deux forces militaires de la Régence : l’Odjaq des janissaires (les officiers de la milice) et la Taïfa des raïs (corporation des officiers de marine). En fait, le rôle prédominant de l’armée était inévitable dans un pays continuellement menacé. Plus tard (en 1671), le gouvernement fut confié à un dey élu. En fait, l’Algérie se détachait de l’Empire turc.

    Les XVI^e^, XVII^e^ et XVIII^e^ siècles furent l’époque de la lutte pour la souveraineté maritime. De l’issue de cette lutte devait dépendre le sort des pays arabes et de la Turquie elle-même. La course fut une des formes que prit alors la guerre entre les pays arabes et européens. La course n’était pas seulement une manière de s’enrichir, comme on l’a dit si souvent, elle était aussi un aspect du combat contre les premières visées expansionnistes de certains pays européens. Après les bombardements et l’occupation des ports maghrébins par les Espagnols, au XVI^e^ siècle, Alger connut l’expédition espagnole d’O’Reilly (1775) et les bombardements de 1783 et 1784. Au XVII^e^ siècle, le duc de Beaufort débarqua à Djidjelli (1664). Duquesne, Tourville et d’Estrées bombardèrent Alger en 1661, 1665, 1682, 1683. En 1688, dix mille bombes étaient lancées sur la capitale. La flotte anglaise n’était pas sans agir aussi, puisque, en 1622, puis en 1665 et 1672, elle bombarda Alger. Plus tard, en 1816, lord Exmouth montera contre la capitale algérienne, une opération de grande envergure, provoquant des destructions importantes. D’autres États européens moins puissants, tels le Danemark et Venise, apporteront leur contribution à cette politique d’agression. De 1622 à 1830, Alger subira à elle seule une vingtaine de bombardements.

    Cependant, aux XVI^e^ et XVII^e^ siècles, de 1596 à 1711 particulièrement, en dépit des difficultés qui l’assaillaient, le peuple algérien donna à son pays un réel essor économique et social. L’agriculture et l’urbanisme se développèrent. Alger compta une population de cent mille habitants, signe d’une indiscutable expansion économique. Les centres d’enseignement connurent un niveau culturel élevé et les cours étaient donnés en arabe et en turc. Les corporations avaient en main l’industrie. Le trafic des caravanes créait un vaste ensemble de marchés commerciaux qui reliaient le sud au nord. Parmi les nombreuses mosquées et les palais que construisirent les ouvriers et les architectes algériens, citons l’imposant monument religieux de Djamâ Eddjedid, inspiré du style de Constantinople, élevé en 1660 après celui d’Ali Bitchin. La mosquée Ketchaoua, un des chefs-d’œuvre de l’architecture algérienne, fut construite à Alger sous la direction de Baba-Hassan en 1794.


    Mais nous sommes maintenant à la veille de la colonisation. En 1827, à Navarin, la flotte algérienne est détruite avec les flottes turque, égyptienne et tunisienne, par la France, l’Angleterre et la Russie coalisées. L’invasion de l’Algérie en 1830 fut un coup porté à la civilisation arabe tout entière. La résistance héroïque de l’Algérie sera le symbole de la lutte du peuple arabe pour la sauvegarder.

    De ce fait, la conquête colonialiste des pays arabes fut une tentative de destruction de la civilisation arabe. En Algérie, les Français détruisirent les mosquées, pillèrent les bibliothèques publiques et privées, on piétina le passé de ce pays et on alla jusqu’à considérer la langue arabe comme une langue étrangère. Son enseignement fut interdit. L’histoire de l’Algérie fut oubliée, livrée au mépris lorsqu’elle était évoquée.

    Le passé de tout un peuple était l’objet de dénigrement. La civilisation arabe fut honteusement discréditée. L’entreprise de dépersonnalisation a rarement été poussée aussi loin qu’en Algérie. La France y détruisit aussi la forme originale d’appropriation et d’exploitation de la terre, qui était dans sa majorité travaillée en collectivité (terres arch notamment). C’est ainsi que les Versaillais, vainqueurs de la Commune de Paris, votèrent à l’unanimité, le 26 juillet 1873, une loi qui permettait non seulement de voler leurs terres aux Algériens, mais de désintégrer la personnalité morale et culturelle algérienne en la privant de ses fondements.

    La dislocation des familles, des tribus devait, selon les calculs des colonialistes, entraver le front de résistance algérien. En généralisant la propriété individuelle de la terre, les colonialistes préparaient en fait la ruine de l’Algérie, mais du même coup les conditions de son sursaut national et de sa libération.

    Lorsque le 1^er^ novembre 1954 retentit le premier coup de feu de la guerre de libération, la résurrection de la civilisation sur cette terre arabe était aussi l’enjeu final de la lutte. En édifiant la société nouvelle sur les bases du socialisme, l’Algérie a renoué avec un passé riche en traditions révolutionnaires propres au peuple du Maghreb. L’échec de la dépersonnalisation colonialiste a confirmé que l’arabisation de l’Afrique du Nord fut un fait déterminant de son histoire. Commencée dès le VII^e^ siècle, elle marqua définitivement la personnalité du Maghreb.


    L’histoire passée de l’Algérie, comme celle de tous les pays, est l’histoire de la lutte des classes : lutte des classes à l’échelle nationale, et entre nations.

    Le combat entre l’impérialisme dominateur et le peuple algérien dépossédé a permis en définitive que s’instaure une société où les classes exploiteuses n’ont pas les moyens pratiques de s’assurer la domination politique du pays. C’est précisément pourquoi, sur les bases d’une justice sociale supérieure à celle qu’elle connut jadis, l’Algérie trace actuellement la voie qui conduit au renouvellement de la civilisation arabe tout entière et qu’elle apporte aussi par voie de conséquence sa riche contribution à la civilisation universelle.