Communistus

Média communiste pour toute l'Europe

fondé par Michèle Mestre

12/1968 · Le socialisme scientifique algérien · p. 47-48
Sommaire de la brochure
  • Éditorial
  • Une civilisation d'une grande richesse
  • Ibn Khaldoun, précurseur de la science historique
  • Colonialisme et personnalité algérienne
  • Un peuple qui jamais ne renonça
  • Trois dates historiques : le programme de Tripoli, la Charte d'Alger, les documents du 19 juin
  • La reconstruction révolutionnaire du parti du FLN
  • Développement économique et planification
  • L'UGTA et la construction du socialisme
  • Armée nationale populaire, base décisive de la révolution
  • Document : « Notre justice doit-être révolutionnaire au service du peuple et à sa portée »
  • L'Union nationale des femmes algériennes
  • Pour une véritable coopération franco-algérienne
  • L'important développement de la coopération Algérie-URSS
  • L'Algérie au premier rang des luttes anti-impérialistes
  • Une grande admiration pour Marx, Lénine et la révolution d'Octobre
  • Karl Marx en Algérie
  • Lénine et les « Thèses d'Avril »
  • Grande révolution d'Octobre, un événement qui a ébranlé le monde
  • Marxisme et socialisme scientifique algérien
  • Document : « Notre justice doit-être révolutionnaire au service du peuple et à sa portée »

    Le 8 novembre 1968, le président Houari Boumediene, ouvrant les Journées d’étude de la magistrature en présence de M. Kaid Ahmed, responsable du Parti, des membres du Conseil de la Révolution et du gouvernement, prononçait un important discours, dont nous publions ci-dessous le texte intégral.

    « Notre justice doit-être révolutionnaire au service du peuple et à sa portée »

    « Notre justice doit être révolutionnaire, au service du peuple et à sa portée ». « La symbiose de la Justice et de la Révolution est une nécessité impérieuse ». C’est sur ces grands principes que se définit désormais la justice de la République algérienne démocratique et populaire.

    Dans cet important domaine, il est aussi facile de constater que c’est la pratique révolutionnaire scientifique et non l’improvisation qui préside aux bouleversements nécessaires. Pour un tel renouveau, l’action du Conseil de la Révolution et celle du FLN sont évidemment capitales.


    « Après les réunions des cadres de la nation et la conférence de l’UGTA qui s’est réunie en ces mêmes lieux[,]{.smallcaps} il y a moins de quinze jours, nous voilà à nouveau réunis pour discuter d’autres affaires du pays : les problèmes de la justice.

    « Ces réunions successives illustrent clairement le dynamise qui se manifeste dans tous les secteurs d’activité de notre pays. Elles reflètent la volonté de la nation pour le progrès, le développement et la réalisation des objectifs de la Révolution socialiste.

    « Je pense que cette nouvelle méthode de travail qui a été instituée pour résoudre nos problèmes est un moyen efficace pour atteindre nos objectifs.

    « Vous allez donc pendant trois jours discuter des problèmes de la justice dans notre pays. Au nom du Conseil de la Révolution, du parti et du gouvernement, j’invite tous les frères ici présents à aborder les problèmes en toute franchise et en toute objectivité.

    « En vérité, les problèmes qui se posent en matière de justice ne seront résolus que dans la mesure où les solutions retenues sont conformes aux exigences de la révolution et aux aspirations profondes de notre peuple.

    « La justice nouvelle doit être conçue en fonction des transformations fondamentales qui se sont opérées dans la société algérienne depuis le déclenchement de la Révolution du 1^er^ novembre 1954 et plus particulièrement depuis l’indépendance.

    « En d’autres termes, la justice, qui est une des institutions essentielles dans la vie d’une société, doit évoluer en symbiose avec la marche de la révolution.

    « Il y a deux ans, au cours d’une réunion moins élargie, j’avais déjà affirmé cette nécessité pour la justice de se conformer aux transformations radicales imposées par notre ligne révolutionnaire. Avant le déclenchement de la révolution, le système judiciaire nous était étranger comme d’ailleurs tous les systèmes qui prévalaient à l’époque. Il n’était pas conçu pour défendre les droits du peuple, mais pour l’asservir et le terroriser. C’était en fait un instrument de répression au service des colons.

    « Notre peuple n’avait ni confiance ni considération à l’égard de cet appareil judiciaire. Il le méprisait, il le haïssait. Il finit d’ailleurs par se révolter contre lui.

    « Après le déclenchement de la révolution armée, le pays a connu deux types de justice. La justice révolutionnaire exercée par les militants de I’armée et du Front de libération nationale et celle des colonialistes.

    « Au lendemain de l’indépendance, l’organisation judiciaire instituée pendant la révolution s’est effacée devant ce qui restait de l’ancien édifice de la colonisation.

    « Notre grande révolution qui a produit des bouleversements profonds jusqu’aux structures sociales du pays a laissé l’ancien appareil l’emporter sur le système révolutionnaire qu’elle avait tenté d’instituer pendant la période 1954-1962. C’est pourquoi, après l’indépendance, la justice était en net déphasage par rapport aux exigences de la Révolution.

    « C’est là une des premières difficultés que nous avons rencontrées, car une Révolution qui veut avancer doit absolument disposer d’un appareil judiciaire apte à assurer sa sauvegarde. Notre lutte de libération n’aurait pas pu triompher si elle n’avait pas institué un système judiciaire capable de défendre les intérêts de la révolution et du peuple.

    « L’indépendance de l’Algérie a vu un peuple révolutionnaire, un peuple qui veut aller très vite, un peuple qui veut réaliser des miracles, confronté avec des institutions conçues pour défendre un ordre colonial et des intérêts capitalistes, se heurter à une législation élaborée en fonction de critères et d’intérêts qui sont en contradiction avec notre démarche révolutionnaire.

    « La symbiose de la justice et de la révolution est une nécessité impérieuse, la révolution qui avance rapidement et d’une façon continue dans tous les domaines doit absolument englober le secteur vital de la justice.

    « Tout d’abord, il faut nous débarrasser de certains complexes du passé. Toutes nos lois ont été élaborées par l’étranger. C’est une réalité qu’on ne peut ni nier ni fuir. L’essentiel aujourd’hui est de réformer ces lois selon nos possibilités afin que notre législation soit conforme à notre orientation révolutionnaire.

    « Si l’esprit de ces lois ne peut devancer la marche de la révolution, tout au moins doit-il la suivre pour éviter ce déphasage qui serait un frein au succès de notre combat.

    « Cette harmonie de nos options et de notre législation est une condition nécessaire, mais non suffisante. Elle doit s’accompagner d’une reconversion des mentalités.

    « Dans beaucoup de pays, lorsqu’on aborde le système constitutionnel, on parle de pouvoirs politique, législatif et judiciaire. Le problème ne peut pas se poser dans les mêmes termes dans une démocratie bourgeoise et dans un pays qui veut réaliser une révolution au profit des masses laborieuses.

    « Dans un pays comme le nôtre, où il n’est pas question de consolider des droits établis, mais au contraire de construire un ordre nouveau, les structures judiciaires ne peuvent être modelées selon un processus de pensée [48] en opposition avec les buts de notre révolution. Il doit être bien clair pour tous que nous travaillons pour la défense des masses laborieuses.

    « C’est une question essentielle. Il est bien évident que la justice doit être équitable pour tous les citoyens, qu’elle doit donner à chacun son droit. Cependant la conception du droit des gens dans les pays où l’exploitation capitaliste est admise, est en opposition fondamentale avec la conception que s’en fait notre révolution.

    « La justice doit opérer sa reconversion pour s’adapter aux réalités nationales et répondre aux vœux de tous les citoyens. Cette reconversion doit s’opérer aussi bien dans le fond que dans la procédure. Les tribunaux créés durant la lutte armée instruisaient les affaires qui leur étaient soumises dans des délais qui n’excédaient jamais la semaine, à la grande satisfaction des intéressés.

    « Aujourd’hui, les procès s’éternisent au grand préjudice des parties et plus spécialement des pauvres. Ces lenteurs relèvent d’un esprit rétrograde et de méthodes stériles qu’il nous faut abolir à jamais.

    « Il nous faut aborder les problèmes avec un esprit nouveau et des idées neuves.

    « Si j’ai insisté sur certains aspects de la justice, c’est parce qu’ils intéressent au premier chef le citoyen qui manifestait une attitude de refus à l’égard des structures coloniales en général et en premier lieu à l’égard de l’appareil judiciaire colonialiste.

    « Il est de notre devoir aujourd’hui de créer un appareil judiciaire qui réponde aux vœux des citoyens et joue pleinement son rôle de serviteur des masses.

    « Ceci ne peut se faire par des discours, mais par le travail effectif.

    « Une réforme judiciaire a été élaborée en 1966. Les buts de cette réforme étaient de mettre la justice à la portée du citoyen pour faire de son recours non pas un monopole réservé aux gens aisés, mais un droit reconnu à l’ensemble de la population.

    « Ces deux objectifs que s’est assignés la réforme ont-ils été atteints ? C’est à vous de répondre à cette question après les travaux auxquels vous aurez à consacrer les trois prochains jours.

    « La réponse que vous y apporterez sera d’une très grande importance.

    « Il n’est plus question aujourd’hui pour le citoyen de garder vis-à-vis de la justice la même appréhension qu’il avait par le passé.

    « Nous devons donner de la justice une image qui doit forcer le respect de tous les citoyens.

    « Depuis le début de la colonisation, l’Algérien a toujours eu à l’égard des juges un sentiment de mépris et de méfiance.

    « C’est une réalité historique qu’il ne faut pas sous-estimer.

    « Depuis l’indépendance, nous avons fait de grands efforts pour amener la justice à se donner une image qui aide le peuple à changer sa façon de considérer les magistrats.

    « Nous faisons ce rappel pour essayer de faire le point, pour savoir si l’image de la justice coloniale est toujours présente dans l’esprit du citoyen, je veux dire une justice où l’Algérien n’arrive pas à faire prévaloir ses droits.

    « Je dois affirmer avec force ici, au nom du pouvoir révolutionnaire, qu’une telle conception de la justice doit être à jamais bannie de notre pays. L’époque des intermédiaires est révolue. La pratique des réceptions, le recours aux connaissances, les pressions ou interventions d’où qu’elles viennent pour essayer d’influencer le cours de la justice doivent être dénoncés avec la plus grande vigueur.

    « Ces pratiques n’ont malheureusement pas encore totalement disparu. Des magistrats se trouvent quelquefois confrontés avec des difficultés de ce genre. Des gens essaient de les influencer. Je dis solennellement ici que le juge doit prendre toutes ses responsabilités. Chacun doit assumer entièrement ses obligations dans la limite de ses prérogatives. Le magistrat doit exercer ses fonctions en toute conscience et qu’il n’ait aucune crainte. SI l’intérêt supérieur de la communauté exige des peines sévères, qu’il prononce les condamnations nécessaires et que soit honnie toute autorité qui le lui reprocherait.

    « Il arrive que certaines affaires ne soient pas instruites dans les normes à cause d’interventions de toutes sortes. Il faut mettre un terme une bonne fois pour toutes à de telles pratiques. Lorsque nous aurons mis fin à de tels procédés, nous pourrons alors effacer la mauvaise image que garde le citoyen de l’appareil judiciaire. Le citoyen doit sentir profondément que le magistrat travaille pour les intérêts du peuple sur la base de la seule loi. Il doit avoir du juge une image noble, un exemple de conduite et de moralité.

    « Il me faut maintenant ouvrir une parenthèse. En justice, il doit exister une collaboration entre le juge et l’avocat. La confrontation entre ces parties doit viser la manifestation de la vérité. C’est dans les sociétés capitalistes que l’avocat se fait le porte-parole des causes injustes et des crimes. Dans notre société, l’avocat doit dans ces cas plaider coupable et demander la clémence du tribunal. Dans un pays qui fait une Révolution, l’avocat ne peut pas blanchir un criminel et critiquer l’appareil judiciaire destiné à défendre les intérêts du peuple. De nombreux avocats ont milité dans la lutte de libération et ont souffert pour le triomphe de notre Révolution. Ils doivent être les premiers à comprendre que notre conception de la justice est différente de celle des pays capitalistes.

    « L’appareil judiciaire dans ce pays doit être le symbole de l’équité et de la défense du droit. Il doit évoluer avec les idées de notre combat pour constituer une arme de la Révolution pour la défense des intérêts des masses laborieuses. Il lui appartient de défendre le patrimoine de la Nation en réprimant avec vigueur toutes les malversations, pour mettre un terme final aux délits économiques que le peuple, dans sa vigilance, dénonce chaque jour.

    « Certes, je sais que vous n’avez pas que des devoirs. La situation matérielle des magistrats n’est pas brillante, mais je suis convaincu qu’un remède lui sera trouvé dans l’avenir. Le juge sera à l’abri du besoin et au-dessus de toutes les tentations.

    « Mon exposé serait trop incomplet si je n’abordai pas un problème de première importance pour les justiciables et pour la justice elle-même.

    « L’un des devoirs les plus élémentaires est de rendre la justice dans la langue du peuple, car la langue française n’est pas celle du peuple algérien.

    « Il faut arriver le plus tôt possible à rendre la justice dans la langue nationale comme dans tous les autres pays du monde. C’est un anachronisme que de voir un citoyen se présenter devant un tribunal pour demander justice sans comprendre le langage du défenseur ni celui du juge.

    « Il est possible d’utiliser les langues étrangères dans un domaine scientifique ou technique. Il s’agit là de secteurs où l’emploi d’une langue étrangère n’a pas une incidence directe sur la vie quotidienne de la population.

    « Je ne terminerai pas sans dire que nous devons entamer un combat autre que celui déjà mené et pour lequel nous consenti d’énormes sacrifices : il s’agit de l’indépendance réelle, qui nécessite une mobilisation générale, un enthousiasme accru, de la foi et de l’engagement révolutionnaire.

    « Je souhaite que vos travaux soient le prélude d’une révolution authentique dans le domaine important de la justice. »