Sommaire de la brochure
Pour une véritable coopération franco-algérienne
Dix ans après le cessez-le-feu, l’Algérie fait encore venir de France 80 % de ses importations. À l’intérieur de la zone franc, elle est de loin le premier client de la France, et aussi son premier fournisseur. Sur le plan mondial, elle est au septième rang parmi les clients de la France (avant la Grande-Bretagne).
Le fait que beaucoup d’Algériens comprennent et parlent le français rend plus facile toutes relations entre les deux pays, relations commerciales, échanges culturels.
Un bateau met quatre à cinq fois moins de temps pour relier Marseille à Alger que Marseille à Dunkerque. Cette proximité facilite grandement les échanges commerciaux et les déplacements de personnes.
L’Algérie, gros exportateur de pétrole, peut approvisionner la France qui n’en produit que des quantités négligeables. Il en est de même pour le gaz naturel dont la production française est inférieure aux besoins.
Les conditions de base sont donc favorables pour l’établissement de liens de coopération entre l’Algérie et la France, au bénéfice réciproque des deux pays.
L’Algérie socialiste ne recherche aucune forme de charité. Elle exige seulement d’être traitée d’égal à égal. Seul l’intérêt mutuel des deux parties peut constituer une base valable dans ses relations économiques avec la France. Rien de plus normal que d’exiger une balance commerciale en équilibre entre les deux pays. Pour acheter, il faut vendre ou s’endetter (donc se mettre à la merci du partenaire) ou dilapider ses réserves de devises.
« Il serait illusoire de penser, écrivait El Moudjahid du 13 mars 1968, que l’Algérie continuera à s’approvisionner de manière substantielle sur un marché si celui-ci se ferme à ses produits. »
« La coopération, écrivait l’ambassadeur de la République algérienne à Paris, Redha Malek (France-Algérie, décembre 1967) ne doit pas être le biais par [52] lequel un État tenterait de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État, essayant par là même, sous couvert de formules nouvelles, de renouer avec des pratiques d’un autre âge. La coopération implique que chaque partenaire est libre de se donner le régime politique et économique de son choix. Il est évident que les jeunes États indépendants, pour sortir du sous-développement, sont souvent amenés à adopter une voie non capitaliste et à s’orienter vers le socialisme. Les pays industrialisés doivent en prendre leur parti. »
Faire respecter son indépendance, c’est, pour un pays comme l’Algérie, un combat de tous les jours. L’Algérie socialiste connaît tellement bien le danger que sa vigilance est sans relâche.
Le gouvernement algérien a toujours œuvré pour que les accords de coopération soient des accords d’État à État. C’est la seule forme qui permet d’exiger que l’ensemble des accords soit respecté et pas seulement ce qui, momentanément, est plus favorable à l’un des partenaires.
Par ailleurs, c’est l’évidence même qu’un accord qui n’est pas respecté ou qui n’est respecté qu’en partie n’est plus un accord. Et pourtant, le gouvernement algérien doit mener une lutte constante pour obtenir de la France qu’elle respecte les accords qu’elle a signés.
Pour maintenir les avantages économiques qu’il retire de la coopération avec l’Algérie, le pouvoir gaulliste a été obligé de tenir compte des intérêts légitimes de l’Algérie indépendante, de tenir compte aussi de ce que la politique algérienne est maintenant décidée par les Algériens eux-mêmes, et qu’ils peuvent prendre des mesures susceptibles d’éliminer les intérêts spécifiques des capitalistes étrangers, français en particulier.
C’est ainsi que le pouvoir gaulliste n’a pu s’opposer ni à la nationalisation des grands domaines, ni à celle des biens vacants, des mines, de secteurs industriels, commerciaux ou bancaires ; il n’a pu empêcher le gouvernement algérien d’instaurer son monopole sur le commerce extérieur, les assurances, l’édition et la diffusion des publications, la publicité, le cinéma, les opérations financières avec l’étranger, la distribution en Algérie des produits pétroliers…
Il n’a pu également empêcher l’Algérie d’instaurer un tarif douanier différentiel qui frappe certains produits non indispensables à des taux de 60 % à 200 % et qui protège les nouvelles industries algériennes.
Les trois problèmes essentiels
Au centre des problèmes de la coopération franco-algérienne sont trois questions essentielles : la main-d’œuvre algérienne, les hydrocarbures, la commercialisation des vins. Ce sont ces questions qu’il faut aborder maintenant.
La main-d’œuvre algérienne
Au retour de son récent voyage en France, le secrétaire général du Parti du FLN Kaïd Ahmed répondait en ces termes au journaliste d’El Moudjahid qui l’interrogeait sur les conditions de vie de l’émigration algérienne en France :
« Depuis que la France, au cours de la Première Guerre mondiale (1914-1918), a procédé à un transfert de populations algériennes actives pour soutenir son effort de guerre et le rendement de ses usines et de ses mines, il y eut une implantation d’une émigration algérienne conséquente. En vérité, les plus lourds sacrifices consentis par elle, bon gré, mal gré, se sont faits tout le temps au profit de la France sur le plan économique. Étant donné le dur labeur qui leur est assigné au fond des mines, dans les usines, pour les travaux subalternes sur les chantiers de travaux publics, de construction des routes, des ponts, des barrages et de multiples édifices, qui peut honnêtement nier l’ampleur de leur contribution ?
« Il est regrettable que les appareils qui se sont succédé à la tête de la classe ouvrière française n’aient cependant pas toujours tenu compte de ce lien et de cet apport, on ne trouve nulle part dans l’histoire de la lutte de la classe ouvrière française, de mention explicite de l’apport spécifique des travailleurs algériens en Europe. Pourtant cette lutte et cet apport ne datent pas d’hier, la simple probité intellectuelle exige que l’on s’en souvienne.
« Les conditions de vie des travailleurs algériens émigrés ne sont pas brillantes. Elles sont même dramatiques et dégradantes : les bidonvilles, les maladies contractées dans les mines et les usines, l’insécurité qui les environne, le contentieux psychologique dont ils payent directement les frais, les campagnes d’une presse en grande partie entièrement dévouée à la cause du sionisme international plus particulièrement depuis 5 juin 1967, tout cela fait que les émigrés algériens vivent dans des conditions que l’Algérie ne peut tolérer. C’est dire que la question est fondamentalement nationale. Il s’agit d’une affaire de dignité, du sort d’une partie de nous-mêmes. Elle concerne le peuple algérien en entier, hommes et femmes, jeunes et vieux.
« Voilà pourquoi j’ai dit que l’émigration est l’un des éléments essentiels de la coopération, et je dirai même, la pierre d’achoppement, aucune personne sensée ne nous reprochera de refuser de sacrifier plus d’un demi-million d’Algériens dont les deux tiers sont constitués de femmes et d’enfants.
« Pour nous, trouver une solution à leur habitat, à la scolarisation de leurs enfants, à leur formation, à leur situation sanitaire, à l’utilisation des milliards qui s’accumulent dans les caisses sociales françaises amassés à la sueur de leur front, et à leur sécurité dans les déplacements, ne peut être liée au reste du contentieux qui n’est pas de la même nature.
« La colonisation a eu des conséquences lourdes et coûteuses pour le pays. Il s’agit d’un héritage dont les frais devraient être envisagés dans une optique humaine. L’Algérie n’en est pas responsable, encore moins l’émigration.
« Il s’agit de se mettre autour d’une table et de régler cette question qui, pour nous, procède de la dignité, non pas comme monnaie de change, mais en tant que facteur et lien entre nos deux peuples en tant que facteur du développement de l’économie française. »
Quelques jours après ces déclarations (le 26 octobre 1968) était signé à Alger un accord franco-algérien sur « la main-d’œuvre et la libre circulation des personnes ». Alors que les pourparlers étaient interrompus [53] depuis janvier 1967, une étape importante venait d’être franchie.
Selon cet accord, le nombre des ouvriers qui pourraient être admis au cours des trois prochaines années avoisinerait le chiffre de 35 000 par an.
D’autre part, la libre circulation serait totale pour les Algériens qui se rendraient en France pour un séjour inférieur à trois mois. Les mesures vexatoires, telles que la double file ou le guichet spécial pour les Algériens, seraient supprimés de même que le contingentement des touristes. Enfin, les Algériens résidant en France seront dotés, selon les cas, d’un certificat de séjour valable 5 ou 10 ans, délivré et renouvelé automatiquement.
Cependant, il reste que l’application de cet accord mettra à l’épreuve la loyauté du gouvernement gaulliste et que, par ailleurs, rien n’est prévu pour améliorer les conditions de vie des travailleurs algériens en France. Une véritable coopération franco-algérienne exigerait, dans ce domaine, que les travailleurs algériens ne soient plus considérés comme un sous-prolétariat, mais qu’ils soient traités à l’égal de leurs camarades français.
Les hydrocarbures
Pour ce qui est des hydrocarbures, on a l’habitude de considérer l’accord pétrolier franco-algérien de 1964 comme un modèle à imiter pour avancer dans la voie de la décolonisation du pétrole.
L’accord lui-même, oui ! Quant à sa mise en application, retenons l’opinion émise au colloque de Rome sur le pétrole par M. Ghozali, président de la société algérienne d’exploitation des hydrocarbures, la Sonatrach :
« Deux années de fonctionnement des accords d’Alger nous ont appris que le premier volet, celui qui intéresse le côté français, a été pleinement appliqué alors que le second volet, intéressant l’Algérie, ne l’est pas : il s’agit de la contribution au développement industriel de notre pays. »
Signé, il y a plus de quatre ans, l’accord pétrolier franco-algérien devient à mesure que le temps passe plus favorable à la France et ceci pour les raisons suivantes :
a) L’économie de devises qu’il procure à la France est dans la situation actuelle encore plus précieux pour elle (perte d’une bonne part des réserves de devises et d’or, fuite des capitaux circulants) ;
b) Le canal de Suez est fermé depuis juin 1967 et la France peut pour une large part de sa consommation, s’approvisionner en Méditerranée (et pas loin) au lieu d’aller chercher du pétrole dans le golfe Persique en faisant faire aux pétroliers le tour de l’Afrique.
Pour que s’établisse une véritable coopération en ce qui concerne les hydrocarbures, il conviendrait donc que soient réalisées les deux conditions suivantes :
— respect par la France des clauses qui concernent la contrepartie d’industrialisation de l’Algérie ;
— actualisation de l’accord pour tenir compte de l’évolution de la conjoncture.
L’Organisme de coopération industrielle (OCI) a subi en juillet 1968, une modification importante du fait que sa direction est désormais assumée par un président algérien, le directeur général français qui ne pouvait que gêner le fonctionnement de l’organisme (direction à deux têtes) ayant été démis de cette direction. Mais il reste que l’OCI doit avoir pour objectif d’aider au développement de l’industrie algérienne, développement qui aura comme complément naturel d’ouvrir le marché français à l’industrie naissante algérienne.
Les capitalistes français sont-ils partisans d’une telle éventualité ? Non certainement, car l’Algérie ne les intéresse qu’autant qu’elle reste un pays agricole, faiblement industrialisé et donc ouvert largement aux produits de l’industrie française.
C’est pourquoi avec juste raison, M. Bouteflika rappelait en juillet 1968, après son entrevue à Paris avec le général de Gaulle et son homologue français, Michel Debré :
« Il appartient au partenaire français de comprendre, une fois pour toutes, que la sauvegarde de ses intérêts fondamentaux passe par le respect de ses engagements pris vis-à-vis de l’Algérie, passe également par la solution des problèmes que notre pays connaît au niveau économique, social et quelquefois même au niveau politique.
« Quand nous parlons de main-d’œuvre, quand nous parlons de vins, d’hydrocarbures, il s’agit de problèmes qui ont certainement autant d’impacts, sinon plus, au niveau tant de l’opinion publique algérienne que française.
« Si l’on est conscient des préjudices que chacun des partenaires a pu causer à l’autre, l’on est conscient aussi de la nécessité d’apporter des solutions sans plus tarder aux problèmes.
« Nous sommes revenus avec la conviction que la politique des mesures unilatérales n’est pas constructive et que l’Algérie, plus que par le passé, croit en la vertu du dialogue. Encore faut-il que ce dialogue ne soit pas seulement des professions de foi, voire des déclarations d’intention dans l’intimité des salons ou le secret des bureaux, mais l’occasion de la confrontation des points de vue et d’une volonté réelle, sincère et inébranlable d’aboutir. »
La commercialisation des vins
Pour ce qui est de la commercialisation des vins, l’accord de 1964 établi pour cinq ans prévoyait l’importation en France d’un contingent déterminé de vins algériens (contingent d’ailleurs inférieur de moitié aux importations du temps de la colonisation).
Cet accord a fonctionné en 1965 et 1966. Mais en février 1967, le gouvernement français décidait unilatéralement le blocage de toutes les importations. En novembre 1967, alors qu’il y avait pratiquement un an d’importation à rattraper, il fut décidé de débloquer 250 000 hectolitres par mois pour l’année 1968. Ce qui signifiait qu’il y aurait pour les deux années 1967-1968, à peine 5 millions d’hectolitres de vin débloqués, alors qu’il y en avait déjà 13,5 millions en stock. Comment cette violation de l’accord n’aurait-elle pas causé à l’économie algérienne, un très grave préjudice ?
[54]
Le vin est une denrée périssable, difficile et très coûteuse à stocker ; l’argent ne rentre pas pour rembourser les frais culturaux engagés ; le volume de crédit disponible pour les autres activités algériennes est réduit ; la balance commerciale et la balance des paiements sont fortement en déficit au détriment de l’Algérie.
Le non-règlement de ce problème compromet l’ensemble des accords de coopération.
Pendant le même temps, certains vins français sont invendables, car il faudrait les couper avec du vin algérien pour qu’ils deviennent consommables.
Il est aisé ainsi de voir comment l’intérêt réciproque des deux pays est battu en brèche par les intérêts d’une minorité d’exploiteurs.
Les intérêts des peuples français et algérien
À une heure d’avion de la France, le peuple algérien construit une société socialiste ; il est un exemple dans la lutte consciente et efficace contre l’impérialisme et le sionisme. Toute victoire du peuple algérien dans la construction socialiste, tout progrès sur le plan économique constituent des progrès dans la lutte générale contre l’impérialisme.
Les difficultés que rencontre la République algérienne dans ses rapports avec la France tiennent à la nature capitaliste du régime de cette dernière.
Ces difficultés n’existeront plus lorsque s’instituera en France un gouvernement du peuple par le peuple. Au contraire, les relations entre les deux pays pourront largement se développer et surtout être établies au bénéfice réciproque des deux peuples et des deux pays qui mèneront alors le même combat.
Qu’on songe déjà à la fructueuse coopération qui s’instaure entre la République algérienne et les États socialistes pourtant si éloignés d’elle par la distance et par la barrière des langues. Tous les rapports étaient à créer. Entre la France et l’Algérie au contraire, ces liens existent déjà. Ils ne demandent qu’à être affermis et améliorés dans l’intérêt réciproque des deux peuples.
L’Algérie socialiste est l’alliée de la classe ouvrière française. De plus, les 500 000 Algériens travaillant en France sont naturellement dans les luttes contre l’exploiteur commun, au coude à coude avec les travailleurs français.
Cela ne rend que plus scandaleuse la honteuse tentative d’alliance entre le Parti communiste français, Parti de la classe ouvrière française, et la FGDS. Il n’est en effet pire ennemi du peuple algérien que ces « socialistes » qui ont fourni dans le passé des gouverneurs généraux à l’Algérie colonisée (Naegelen, Lacoste), qui ont conduit pour le compte du capitalisme français la guerre de répression contre la révolution algérienne (Guy Mollet, Lacoste, Lejeune), qui ont, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie accusé de Gaulle d’avoir « bradé l’Algérie », qui se retrouvent toujours parmi les pires ennemis des peuples arabes, chaque fois que ceux-ci combattent l’impérialisme (de l’expédition de Port-Saïd en 1956, jusqu’au soutien à l’agression sioniste de juin 1967), c’est là la ligne contre-révolutionnaire constante de ce soi-disant « parti socialiste ».
La vaine recherche par la direction du Parti communiste français d’une alliance contre nature avec les ennemis de la classe ouvrière française et du peuple algérien s’aggrave du fait que cette direction ne popularise pas les réalisations algériennes et qu’elle donne même son soutien à des forces contre-révolutionnaires, telle l’ORP.
Sur le plan de la coopération, au lendemain du cessez-le-feu, la direction du Parti communiste français se prononçait pour « l’application loyale des accords d’Évian », ignorant les critiques contenues dans le Programme de Tripoli et insistait sur le « maintien des liens entre la France et l’Algérie » sans dénoncer les visées néocolonialistes du pouvoir gaulliste. Par contre, depuis que l’Algérie s’est affirmée comme un État souverain prêt à défendre son peuple contre les menées des monopoles capitalistes, L’Humanité passe sous silence les problèmes actuels de la coopération et n’agit nullement pour aider au développement de celle-ci.
La coopération entre la France et l’Algérie s’impose comme une nécessité historique. C’est dans ce sens que parmi les combats que mène actuellement le peuple algérien, le combat pour une véritable coopération entre l’Algérie et la France revêt une importance particulière.
Les communistes révolutionnaires français sont partisans de la coopération franco-algérienne, une coopération fondée sur la juste défense des intérêts de chacun des deux peuples.
Les rapports entre la France et l’Algérie étaient autrefois des rapports de colonisateur à colonisé. Les accords d’Évian, première étape dans l’établissement de rapports nouveaux, devaient être rapidement dépassés, devant la détermination de la Révolution algérienne de balayer les séquelles du colonialisme.
Par étapes successives, la République algérienne a fait valoir ses droits à des relations avec la France, fondées sur la justice et l’intérêt réciproque des deux peuples. Elle a obtenu, à chaque étape, que ses intérêts soient mieux respectés.
La coopération franco-algérienne doit se développer. Il n’en sera ainsi toutefois que si le gouvernement français ne la conçoit pas comme le maintien des positions acquises, mais tient compte de l’option socialiste de l’Algérie, et comprend que la coopération algéro-française doit aussi avoir nécessairement comme conséquence le développement économique de l’Algérie.