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fondé par Michèle Mestre
12 avril 2024

La violence révolutionnaire en France (1961-1962)

Dans son discours (non prononcé) « Sur les gardes républicaines » (5 décembre 1790), Robespierre – alors simple député – affirme : « Être armé pour sa défense personnelle est le droit de tout homme, être armé pour défendre la liberté et l’existence de la commune patrie est le droit de tout citoyen ». C’est le discours où il invente la maxime devenue sacrée « Liberté, égalité, fraternité ».

Emmanuel Macron déclare : « Chacun doit avoir la sécurité et c’est le devoir de la puissance publique de l’assurer. Mais, je suis opposé à la légitime défense. C’est très clair et c’est intraitable parce que sinon, ça devient le farwest. Et je ne veux pas d’un pays où prolifèrent les armes et où l’on considère que c’est aux citoyens de se défendre » (30 avril 2022).

À la différence des USA, en France le débat reste feutré. Ceux qui ont peur d’un gouvernement « fasciste » craignent l’émergence de groupes armés et font une référence un peu lointaine et fausse aux Chemises noires des partisans de Mussolini en Italie (premier groupe à Milan en 1919) et aux SA et SS nazis en Allemagne.

Le FLN et l’OAS

La dernière fois où ce dilemme est apparu dans le débat politique en France est la guerre d’Algérie (1954-1962).

Prévisible depuis 1945, avec la répression sanglante des manifestations populaires (Sétif, Guelma, Kherrata), la guerre d’Algérie est ouverte depuis 1954. Elle fait plus de 200 000 morts, dont 25 600 soldats français, et peut-être plus de 150 000 Algériens. Un cessez-le-feu est signé le 19 mars 1962 entre la France de Charles De Gaulle et le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne).

L’Organisation armée secrète (OAS) est créée le 11 février 1961 à Madrid. Elle est le bras armé clandestin et meurtrier des ultras de l’Algérie française, entre février 1961 et l’indépendance en juillet 1962 face à la volonté manifeste du gouvernement français et du général de Gaulle de se désengager en Algérie, scellé par le référendum sur l’autodétermination (8 janvier 1961).

L’action du PCF

« Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, sous la direction d’officiers généraux, les factieux s’emparent du pouvoir à Alger, sans résistance des autorités. Le but du coup de force est toujours d’empêcher la négociation pour la paix en Algérie et d’instaurer le fascisme en France. Une fois de plus le pouvoir prétendu fort étale sa faiblesse et ses complaisances devant l’émeute […]. Il se borne à un appel irresponsable dans lequel il convie la population parisienne à se porter « à pied ou en voiture » autour des aérodromes où devaient se poser des parachutistes.

Dès les premières heures du samedi 22 avril, le Bureau politique demande à la classe ouvrière et au peuple de compter avant tout sur leur propre force pour exiger la liquidation de l’émeute, « tentative désespérée d’empêcher la négociation avec le G.P.R.A. ». Il appelle « les soldats, fils des ouvriers et des paysans de France, les sous-officiers et officiers républicains à refuser l’obéissance aux généraux félons ».

Dès l’annonce du coup de force […] les forces démocratiques se mobilisent et permettent l’organisation en commun de la riposte. Le lundi 24 [avril 1961] à l’appel des organisations syndicales et démocratiques, 12 millions de travailleurs participent à un arrêt de travail national. Groupés dans de puissants comités antifascistes, ils réclament les moyens, y compris les armes, nécessaires à l’écrasement des factieux. [Collectif, Histoire du Parti communiste français, Éditions sociales, 1964, p. 688]

Le Bureau politique du PCF, dirigé par son secrétaire général Maurice Thorez (1900-1964), ne prend aucune responsabilité révolutionnaire. Il critique l’initiative du gouvernement contre les parachutistes de l’armée factieuse, mais sans donner de mot d’ordre rectificatif. Ensuite il évoque la « propre force à la classe ouvrière et au peuple pour exiger la liquidation de l’émeute ». Où est dont le parti à ce moment-là ? Puis il appelle l’armée au « refus d’obéissance » sans prévoir le moindre risque de répression.

APRÈS LE RECUL DE L’INTIATIVE « FASCISTE »

L’indépendance de l’Algérie est revendiquée depuis le 1er novembre 1954 par le Front de libération nationale (FLN). Un référendum doit créer l’État algérien et ratifier les accords d’Evian. Un cessez-le-feu entre en vigueur le 19 mars 1962 à midi.

Le 8 avril 1962, le gouvernement français soumet les accords d’Évian à un référendum en France métropolitaine : 90,6% des exprimés disent oui. Le 13 avril, est installé l’Exécutif provisoire franco-algérien présidé par Abderrahmane Farès.

À Paris, le 14 avril, le Premier ministre Michel Debré est remplacé par Georges Pompidou. Le 15 mai, le référendum algérien est avancé au 1er juillet 1962. Ratification massive des accords d’Evian (99,72% des suffrages exprimés). Ils sont proclamés le 3 juillet 1962.

Mais l’OAS a répondu à l’annonce du cessez-le-feu en intensifiant son action violente contre le FLN et contre les forces gouvernementales. Elle aboutit à un désastre humain.

L’OAS regroupe un millier d’activistes. Elle tue en Algérie au moins 2.200 personnes avec 13.000 explosions au plastic, 2.546 attentats individuels et 510 attentats collectifs. En France métropolitaine, le total de ses victimes est estimé à 71 morts et 394 blessés.

LA POSITION RÉVOLUTIONNAIRE

Le Communiste existe depuis 1954. En janvier 1962, dans le n° 78, Michèle MESTRE et Matthias CORVIN, les deux principaux dirigeants du groupe, écrivent les deux articles leaders que nous donnons en fichiers attachés : « Guerre et révolution » par Michèle Mestre et « Groupes d’auto-défense et milices ouvrières », par Mathias Corvin.

Pour Michèle Mestre, la guerre civile « est le moment où la bourgeoisie – ou au moins sa fraction la plus réactionnaire —, prenant sur elle, de détruire la stabilité du pouvoir passe à l’offensive violente contre les classes travailleuses. » On voit très bien qu’elle caractérise l’OAS. Et la révolution « devient le combat militaro-politique des principales forces sociales qui se disputent consciemment, par le moyen de la violence révolutionnaire, la direction future de la société. »

« Toute la politique présente de l’OAS – politique apparemment aberrante puisqu’elle dresse de plus en plus le peuple contre cette organisation – ne peut être comprise que si l’on en saisit son objectif véritable : scissionner de telle manière l’appareil d’État que la fraction fascisante de celui-ci, sorte de sa réserve et prenne ouvertement, la responsabilité d’œuvrer, par le moyen de la guerre civile, à la création d’un régime de dictature fasciste en France. »

Matthias CORVIN termine ainsi son article : « Mais bien sûr, qu’il s’agisse de groupes d’auto-défense ou de milices ouvrières, le problème d’un certain armement se pose immédiatement. La conception de la milice ouvrière suppose même que, dans ce domaine, l’équipement nécessaire doit être encore plus poussé que pour des groupes n’ayant que des objectifs de défense et de protection. »

Il y a soixante ans – comme aujourd’hui – les forces d’opposition potentiellement révolutionnaires ont pu être arrêtées par toute une série de considérations. Est-il « républicain » d’attaquer la république avec des armes ? Le république n’est qu’une forme de direction de la société par des représentants élus au suffrage le plus large possible. La façon dont le groupe majoritaire accède au pouvoir – avant le premier scrutin – ne met pas en cause le caractère républicain des institutions. Pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe, les combattants sociaux ont fait une grande distinction entre « république » et « république sociale ». C’est la différence qui oppose aujourd’hui le capitalisme et le socialisme. Mais nul n’est jamais passé de l’une à l’autre sans une guerre révolutionnaire profonde et prolongée.

Les communistes ne sont en aucune façon « assoiffés de sang ». Pour une victoire du peuple la plus courte et la plus efficace possible, ils savent qu’il faut utiliser rationnellement une forme de violence pour créer la limite du non-retour.