Communistus

Média communiste pour toute l'Europe

fondé par Michèle Mestre

15 mars 2024 · no 169

Pour une mémoire révolutionnaire de la Résistance

Pour Francine et François,

Bonjour,

Sommes-nous condamnés à toujours célébrer la Résistance avec les impérialistes ?

L’histoire de la Résistance n’est toujours pas écrite. C’est ce que pensait Jean Allemand, qui a passé sa vie à chercher la documentation pour l’écrire. Cela fait partie d’une Histoire du PCF dont le manuscrit est pour l’instant égaré. Nous espérons pourvoir remettre la main dessus.

Le 13 août 1939, l’URSS signe un pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie. Elle met ainsi en application la doctrine communiste de non-préférence entre les impérialistes. A sa suite, le décret-loi du 26 septembre 1939 prononce la dissolution des organisations communistes en France. Le 8 novembre 1939, le secrétaire général du PCF Thorez est exfiltré en URSS. Dès lors, la majorité social-démocrate du PCF prit fait et cause pour la victoire de l’impérialisme français, enlevant tout caractère révolutionnaire à l’action des communistes.

En mai 1943, la direction du PCF invente la stratégie impérialiste d’union nationale : le Conseil national de la Résistance (CNR). Il trahit ainsi les militants morts pour la révolution communiste en France. En août 1943, l’Humanité clandestine annonce la création des « milices patriotiques », des coques vide prêtes à activer au moment de l’insurrection nationale. En janvier 1944, les milices patriotiques sont avalisées par le CNR. Le 15 mars 1944, le CNR adopte un programme social-démocrate de gouvernement sous direction impérialiste.

Pendant l’effervescence de la Libération, à partir d’août 1944, des milices patriotiques apparaissent dans la plupart des villes et villages de France. Le 31 août 1944, le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) est instauré. Il comprend deux ministres PCF (Charles Tillon et François Billoux). Le PCF mène alors une campagne pour exiger le retour de Maurice Thorez. Le 28 octobre 1944, le gouvernement autorise le retour en France de Thorez et décrète le désarmement des milices patriotiques. Seul André Marty, un des trois secrétaires du PCF, s’oppose à cette trahison de la Résistance révolutionnaire. Pour Staline, il est évident qu’il faut jouer la duplicité : cacher les armes, rassembler autour du PCF et écarter de Gaulle de la vie politique. Ce moment historique révolutionnaire est brillamment raconté par notre camarade Mathias Corvin dans le Communiste n°103 (juillet-août 1964).

La « vérité officieuse » : la France parmi les vainqueurs…

En 1944, les impérialistes de tous bords ont jeté les bases du récit historique de la France pendant la Seconde guerre impérialiste mondiale. Ce récit ne s’est pas imposé immédiatement. Contre la direction impérialiste, de nombreuses voix se sont élevées dans l’Empire français, de notre Oncle Ho à notre Frère Boumediene, en passant par notre camarade-secrétaire du PCF André Marty.

De cette guerre, il est demeuré deux histoires en France, diamétralement opposées et inconciliables. D’une part, la France impérialiste, dirigée par Pétain, De Gaulle et la majorité social-démocrate du PCF. D’autre part, la France révolutionnaire, dirigée par les peuples des colonies et la minorité communiste du PCF.

Voilà en quelques phrases l’histoire fausse, telle qu’elle nous est racontée :

Les nazis sont les pires ennemis du genre humain. Leur idéologie est fondée sur l’antisémitisme. En juin 1940, ils envahissent la France contre la volonté majoritaire des Français. Le maréchal Pétain se voit contraint de « collaborer ». Le général de Gaulle s’exile à Londres, où l’Angleterre, ennemi héréditaire de la France, devient sa planche de salut. De Gaulle réalise l’unité des résistants de l’intérieur et de l’extérieur, qui aboutit à la Libération du territoire hexagonal. La pugnacité du général de Gaulle permet à la France d’apparaître parmi les vainqueurs des Nazis.

Évidemment toute cette histoire est fausse. Comme nous l’avons déjà écrit précédemment, l’histoire de la seconde guerre impérialiste mondiale est celle qu’a écrite l’impérialisme. En France ce sont les gaullistes qui ont écrit et, en particulier Charles de Gaulle.

La vraie question : qu’est-ce que le nazisme ?

Pour les communistes, le nazisme n’est qu’une forme historique particulière de l’impérialisme. Soyons clairs : les communistes ne voient pas dans le nazisme autre chose qu’un ennemi parmi d’autres.

Je vous entends d’ici vous insurger ! Que faire du caractère antisémite forcené des nazis ? Comment peut-on soutenir que de Gaulle et Hitler sont pareillement nos ennemis ?

Premièrement, l’antisémitisme n’est pas une caractéristique distinctive du nazisme. L’antisémitisme a existé avant, il demeure depuis. Le nazisme se donnait pour but de détruire tout ceux qui, en réalité ou en fantasme, s’opposaient à lui. Il est fondé sur une hiérarchie des peuples. C’est en cela une idéologie raciste et impérialiste, à l’image de l’idéologie qui nous gouverne aujourd’hui encore.

Il reste l’horreur des camps de concentration et d’extermination, qui ne saurait être minimisée. Cependant, elle n’est pas exclusive au nazisme et ne permet en rien de caractériser le nazisme.

La politique nazie a pour objectif d’assumer la direction de l’impérialisme en Europe. Le nazisme construit son camp impérialiste à partir de l’idéologie pangermaniste. Son but est d’unir les peuples et les terres « germaniques » (Allemagne, Norvège, Suède, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Empire austro-hongrois et pays baltes). Les nazis classent les humains en « races à éduquer » (latins, japonais et slaves), « races à réduire en servitude » (asiatiques, noirs) et « races à exterminer » (judéité non définie et peuple tzigane).

21 février 2024, Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon

Le 21 février 2024, les os de Mélinée et Missak Manouchian ont été inhumés au Panthéon de Paris. Quatre-vingts ans après l’assassinat du « groupe des 23 » des FTP-MOI par la police française et les nazis. Du grand spectacle ! Des millions de téléspectateurs ! Le président Macron et les responsables militaires et politiques de la République, sagement assis le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, avec l’ambassadeur d’Arménie en France… Pourtant, à bien y regarder, rien n’est clair dans ce tableau.

Le Panthéon est un monument unique en France : c’est une mauvaise copie du Panthéon antique de Rome. Au XVIIIe siècle, une église catholique Sainte-Geneviève était prévue en haut de la colline Sainte Geneviève. Les événements révolutionnaires de 1789 font que l’église devient monument funéraire dédié aux grands hommes de « la nation ». Étonnamment, le monument reste surmonté d’une croix (qui n’y a pas toujours été). Le choix d’y déposer des ossements n’est pas non plus évident. Le Panthéon de Paris a une allure de catacombe chrétienne. Il aurait pu n’être qu’un monument souvenir, un cénotaphe, sans les restes humains. On y entre des corps. On en sort des corps. La liste est longue de citoyens « panthéonisés » qui perdent leur privilège. Le plus célèbre est le « vendu » Mirabeau qui sort par une porte du Panthéon au moment même où Jean-Paul Marat entre par une autre. Plus tard, Marat en est aussi expulsé.

Mélinée Manouchian (1913-1989) et Missak Manouchian (1906-1944) sont devenus les otages d’un jeu qu’ils n’ont pas voulu. Tous deux sont issus des terres arméniennes, soumises à un génocide anti-arménien par l’empire ottoman en 1915-1916. Ces réfugiés apatrides sont accueillis en France. Venant du Liban ou de Constantinople (Istanbul). Missak n’a jamais reçu la nationalité française et Mélinée seulement à la Libération. Ils ont été de bons militants communistes. Missak est passé de l’écriture poétique et politique aux armes, dans la M.O.I. (main d’œuvre immigrée) de l’Organisation militaire spéciale (OS) du PCF. Mélinée est passée de la dactylographie aux armes dans la même M.O.I.

Un honneur très particulier leur vient de la très belle lettre que Missak écrit à Mélinée le jour de son assassinat. En 1955, cette lettre inspire au poète communiste Louis Aragon (1897-1982) un poème « Strophes pour se souvenir », ce sont 35 alexandrins (en sept strophes de cinq) d’une très grande beauté. Hélas, Louis Aragon n’est pas un révolutionnaire. Son texte cherche surtout le lien (pas universellement internationaliste) entre l’étranger et le français. Il se termine par les mots « Morts pour la France ». En 1961, Léo Ferré (1916-1993) met le poème d’Aragon en musique : il devient « L’Affiche rouge ». Une mélodie très solennelle comme une « prière aux agonisants » qui contredit ce que prétend le texte.

Au moins, Louis Aragon et Léo Ferré évitent-ils de tomber dans cette insupportable et puante soupe antisémite qui a suivi toute la cérémonie au Panthéon. On serait « juif », comme on serait « français » ou « communiste ». Le racisme nazi est totalement validé. Bien entendu, aucun des 23 étrangers de l’Affiche rouge n’est juif. Puisqu’ils ne croient pas. Ils sont tous communistes.

Des traitres à la direction

Charles Tillon (1897, Rennes - 1993, Marseille), mutin sur « Le Guichen » en 1919 ; longue carrière à la CGTU ; militant communiste en 1921, secrétaire régional (1929), CC (1932-1952), suppléant au BP (1932-1936), titulaire (1944-1952), secrétariat clandestin du PCF (1941-1944) et fondateur de l’OS (1941) puis des FTP (1942-1944) ; ministre des gouvernements de Gaulle (1944-1947) ; démissionné du BP puis du CC en 1951-1952 (affaire Marty-Tillon), exclu du PCF en 1970 [Voir article : maitron.fr/spip.php?article24280]

En 1962, Charles Tillon publie « Les FTP. Témoignage pour servir à l’histoire de la Résistance », chez Julliard. C’aurait pu être un moyen extraordinaire pour comprendre Missak et Mélinée Manouchian. Mais Tillon, qui était fondateur de l’Organisation spéciale (OS), ne pense pas à dire où, quand et comment a lieu cette fondation. Vingt-et-un ans après la fondation de l’OS (1941-1962), les nécessités de la clandestinité ne s’imposaient plus. Mais Tillon cache toujours les divisions qui ont traversé et traversent le PCF à propos de ce qu’il aurait fallu faire pendant et après la Résistance.

Dans son livre, Tillon n’en dit pas plus sur la création des Francs Tireurs Partisans français (FTPF). Cette création entre totalement dans la même politique de silence. Le mot FTP-MOI n’est pas dit une seule fois dans le livre. Le « groupe Manouchian » est évoqué deux fois sous l’appellation « groupe des 23 », qui est un peu restrictive.

Dans le Communiste n°82 de mai 1962 – au moment de la parution du livre de Tillon – Michèle Mestre a publié un article fondamental, « Charles Tillon et le délire patriotique » (Le Communiste, n°82, mai 1962, p. 13-15). Il est clair que l’appellation « main d’œuvre immigrée » devait défriser Charles Tillon. Nous avons republié cet article de Michèle Mestre dans le numéro 102 de Communistus. Il convient d’aller sur le site « Communistus.eu » pour télécharger l’article de Michèle Mestre.

L’argument principal de Tillon c’est qu’il ne participait pas à la Résistance pour prendre le pouvoir. À plusieurs reprises, il évoque le choix de la démobilisation et de la désorganisation des F.T.P. Une trahison pure et simple. À la fin 1944, au moment même où les milices patriotiques sont désarmées, une partie des forces communistes suit les forces impérialistes gaullistes jusqu’à Berlin. Une majorité démissionne, pour suivre l’opposition d’André Marty, qui se fait rapidement mettre en minorité. Que ce soit Maurice Thorez, Jacques Duclos ou Charles de Gaulle lui-même, tous racontent comment le PCF s’est fait harakiri en novembre 1944. Charles Tillon était parmi eux.

Des profiteurs ? Landini et le PRCF

Tous les médias social-démocrates ont accueilli avec délectation l’histoire de la non-invitation de Léon Landini à la panthéonisation des Manouchian. Comme d’habitude, ils se délectaient de pouvoir dire du mal du PCF.

Léon Landini (1926, Saint-Raphaël) est fondateur-président d’honneur du pôle de renaissance communiste en France (PRCF). Il fait partie de nos valeureux camarades qui ont fuit l’affrontement interne au PCF pour mieux s’amuser à se grimer en révolutionnaire de 1789 ou en bolchévique de 1917.

Landini se désigne comme le dernier compagnon vivant des FTP-MOI. Rien n’est moins sûr. Il était trop jeune pour avoir côtoyer Missak Manouchian. Et il se trouvait à Lyon (en autre).

La rediffusion de la cérémonie au Panthéon démarre par la rencontre entre le Président Macron et Léon Landini. Jamais on n’aura vu un communiste courber autant l’échine devant le représentant de l’impérialisme français. Sa fille, Gilda Landini-Guibert, connue pour sa gouaille, se courbe elle aussi devant les ors de la République impérialiste.

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