Communistus

Média communiste pour toute l'Europe

fondé par Michèle Mestre

13 avril 2022 · no 0g

L’analyse concrète d’une situation concrète

Nous critiquons fondamentalement l’héritage d’un « matérialisme historique » qui serait issu de Marx et d’Engels. Depuis le travail de Michèle MESTRE en 1968 (Pour une histoire critique de la philosophie marxiste), nous savons qu’il s’agit d’un dépôt intellectuel dû à Engels, pour l’essentiel après la mort de Marx. Pour notre part, nous nous alignons sur la XIe thèse sur Feuerbach de Marx : « Jusqu’à présent les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit de le transformer. » Pour Marx, il n’y a pas de philosophie utile, ni idéaliste ni matérialiste. Cependant se passer de philosophie apparaît très difficile à nombre de nos camarades. Sans boussole, comment faire ? La réponse n’est pas simple. Il faut tout d’abord se défaire des représentations théistes. Elles sont d’origine chrétienne. L’échelle du temps est inscrite dans un mouvement ternaire. Une période antéchrist dans l’attente du messie (sans loi). Le christ comme messie (la loi). La lutte post-christ qui voit l’affrontement des deux forces jusqu’au jugement dernier (apocalypse) et le triomphe de la justice. C’est la vision augustinienne classique. Le mouvement ouvrier – sous l’impulsion d’Engels – a repris ce schéma. Une période sans philosophie matérialiste. Marx invente la philosophie marxiste. Une lutte post-Marx qui voit l’affrontement des forces et doit « immanquablement » déboucher sur le communisme. Le seul problème de ce magnifique doublon idéologique : Marx n’a pas inventé de « philosophie marxiste ». La « philosophie marxiste » est l’un des ingrédients constitutifs de la social-démocratie. Nous pourrions prendre (malheureusement) des centaines d’exemples. Dont l’intégralité de la deuxième internationale ouvrière. Contre ces exemples nauséabonds, une bonne dizaine d’expériences révolutionnaires réussies. Elles n’ont pas toutes été toujours à l’abri de l’influence « marxiste ». Citons Lénine et les bolcheviks, Mao et les communistes chinois, Ho Chi Minh et les communistes vietnamiens, Kim Il Sung et les révolutionnaires coréens, Fidel Castro et les communistes cubains. Bien d’autres expériences peuvent venir en renfort, même si le succès final n’a pas été au rendez-vous de l’expérience. Comme les communards de 1871 à Paris. Qu’ont en commun toutes ces expériences révolutionnaires ? Elles ont été animées par des dirigeants conscients de la totale originalité de chacun de leurs mouvements. Lénine ne reprend rien à personne : le soviet est une invention de 1905 dans l’empire tsariste. Mao se débat comme un beau diable et d’abord contre l’Internationale communiste dirigée par des marxistes orthodoxes. Il invente la force dirigeante d’un peuple paysan travailleur millionnaire. Ho Chi Minh – dans le contexte du colonialisme français et du militarisme japonais – se sert de la force active de l’unité populaire pour gagner une guerre ouverte. Kim Il Sung… Fidel Castro avec son frère et Che Guevara… Il n’y a pas de loi inscrite et écrite à l’avance. Cela relève du théisme déjà dénoncé. Il existe des rapports de force. Chaque groupe révolutionnaire est aux prises avec une situation précise. Gagner, aller à la victoire, relève des leçons de stratégie et de tactique dont la plus ancienne remonte à Nicolas Machiavel au début du XVIe siècle. Il faut mettre les meilleures chances de son côté. Il ne faut souffrir ni de suffisance ni de couardise. etc. etc. Chaque groupe doit créer sa propre école révolutionnaire. Le plus souvent cette haute école s’est révélée être le parti révolutionnaire. Mais ce n’est – là encore – pas une obligation. Marx a bien montré dans La guerre civile en France qui analyse victoires et erreurs de la Commune de Paris en 1871 que l’absence de ce groupe de direction homogène a été fatal au mouvement. En 1920, parlant de Bela Kun, un dirigeant communiste hongrois, Lénine écrit : « Il oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète. » (« Le communisme », Revue de l’Internationale communiste pour les pays de langue allemande, Vienne, 1er février-8 mai 1920. – Œuvres, t. 31, p. 167) On voit dans cette phrase que Lénine n’est pas exempt des illusions « marxistes ». Mais on voit comment il feinte la difficulté. Le concret de la situation concrète ne doit rien au matérialisme dialectique. Et cette maxime doit rester celle de tous les révolutionnaires. Comment doit-on appréhender la lutte ? En faisant d’abord et toujours l’analyse concrète d’une situation concrète.


Colette Magny l’a chanté dans Choisis ton opium en 1963 :

L’âme vivante du marxisme
L’analyse concrète
D’une situation concrète
Te sera à jamais obscure