Média communiste pour toute l'Europe
fondé par Michèle Mestre
11/1954 · no 5 · p. 4-6

Une nouvelle guerre coloniale

Ainsi donc voici la France engagée dans une nouvelle guerre coloniale. Quelques mois à peine se seront écoulés entre la fin de la guerre au Vietnam et le début des hostilités en Afrique du Nord et c’est le même gouvernement, celui de Mendès-France, qui – après avoir fait les accords de Genève – a pris la grave décision d’envoyer la troupe et l’aviation défendre par les armes les intérêts colonialistes menacés en Afrique du Nord. Mais entre la conduite de cette guerre-ci et celle du Vietnam une différence colossale se prépare, à savoir l’utilisation du contingent. Si la guerre d’Indochine n’était resté le fait que d’un corps de mercenaires et d’officiers et sous-officiers de carrière, la guerre d’Afrique du Nord doit devenir, suivant les plans de ceux qui nous gouvernent, la guerre de tout le peuple français. Jeunes ouvriers, jeunes paysans, jeunes intellectuels appelés pour leur service militaire risquent de se retrouver sur les champs de bataille de l’Aurès, l’arrière-pays tunisien et marocain, si les forces militaires actuellement engagées n’arrivent pas à maîtriser l’armée de libération qui se lève maintenant en Afrique du Nord.

Traitant du terrorisme des fellagas tunisiens, dans Le Communiste du mois de septembre dernier, nous disions : « Il s’agit là d’un véritable phénomène social, dont la gravité doit retenir l’attention. » L’expérience a confirmé la justesse de cette analyse : entre les trois pays, les frontières qui s’élèvent sont surtout l’expression de la domination coloniale ; les populations musulmanes d’Afrique du Nord ont entre elles une unité de culture, de tradition, de langue, de religion ; la vague de résistance à l’oppression coloniale commencée en Tunisie et au Maroc risque d’embraser l’Algérie.

Comprenant la gravité de la situation, le gouvernement Mendès-France a voulu frapper avec la vigueur la plus extrême : dissoudre le MTLD, remplir les prisons de militants nationalistes, pourchasser les cadres, c’était amputer la résistance algérienne d’un de ses atouts essentiels, mais c’était surtout agir sur les centaines de milliers de travailleurs nord-africains en France, dont on connait le remarquable esprit de combativité. Par ce moyen on voulait les réduire au silence au moment où les avions allaient bombarder leurs douars. Politique de force, politique classique de répression, mais tout cela ne conduira pas loin : c’est en face d’une résistance de masse que se trouve maintenant la métropole. Mendès-France qui était l’homme qui avait fait la « paix en Indochine » sera aussi l’homme qui aura ouvert la guerre en Afrique du Nord. Mais comme il est parti, son palmarès se complètera d’actes de plus en plus contraires aux intérêts du peuple.

Indépendance nationale et révolution sociale

Les événements d’Algérie marquent la faillite de la politique dite « d’assimilation », que l’impérialisme français avait cru pouvoir mener à bien, en la transformant en trois départements français. Non seulement cette transformation ne donna pas aux Algériens les droits politiques des citoyens français, mais elle ne fit que couvrir sur le plan social et économique, le maintien et l’aggravation de leurs conditions de colonisés. Par contre puisqu’ils étaient devenus « français » plus [aucune] de discussion avec les représentants de leur pays (dont on supprimait jusqu’à l’existence juridique) mais par contre assimilation totale et directe à l’emprise de la métropole. Grâce à cette supercherie l’Algérie semblait jouir d’un calme intérieur bien plus grand que celui de la Tunisie et du Maroc. On vient de voir comment il a été rompu. Les militants révolutionnaires ne peuvent approuver la forme terroriste de lutte, mais s’il n’y avait que du terrorisme il n’y aurait pas besoin en Algérie d’armée et d’aviation : en fait maintenant il existe une armée de partisans qui a pour elle l’appui de la population et qui comme toute armée a sa stratégie, son organisation, etc… La répression qui fait rage en Algérie peut, peut-être, remporter d’immédiats et spectaculaires succès, mais elle ne pourra renverser le cours de cette évolution. Au contraire, elle ne le rendra que plus irréversible surtout à mesure que grandiront les préparatifs de la guerre mondiale dans laquelle les peuples d’Afrique du Nord n’ont vraiment rien à défendre. Et si nous avions le temps de pleurer sur les malheurs de l’impérialisme, nous dirions que c’est vraiment une triste chose pour lui, que cette résistance de l’Afrique du Nord ; il n’avait pas besoin de cela, lui, qui a déjà tant de mal à mettre au point ses plans d’agression contre l’U.R.S.S. et les pays de démocratie populaire.

Le centre de la résistance des forces résistantes d’Afrique du Nord est parait-il au Caire. Et le gouvernement Mendès-France a un moment envisagé d’intervenir auprès de celui-ci pour lui demander de cesser son soutien – ou au moins sa protection tacite – aux mouvements nationalistes. On dit aussi que l’impérialisme américain joue d’une manière habile pour évincer la France de l’Afrique du Nord et prendre sa place. Il n’y a pas de doute que, aussi bien la bourgeoisie nationale musulmane d’Egypte que l’impérialisme yankee, qui cherche à dominer le monde, tenteront de mettre à profit les difficultés de l’impérialisme français. Mais que peuvent-ils apporter à des peuples qui, à travers leur lutte pour l’indépendance nationale, aspirent également à leur libération sociale ?

Car l’enjeu de la bataille qui a commencé en Algérie, comme dans le reste de l’Afrique du Nord, est en fait beaucoup plus vaste que la seule lutte pour l’indépendance nationale : il s’agit que ces peuples non seulement se libèrent de la tutelle impérialiste, première condition pour réaliser leur véritable unité nationale et liquider les vestiges féodaux en réalisant une réforme agraire qui donnera la terre aux paysans, mais également qu’ils franchissent rapidement les siècles de retard qu’ils ont par une utilisation de toutes les ressources minérales qu’ils possèdent et une rapide industrialisation. Ni l’impérialisme français, ni l’impérialisme américain ne peuvent évidemment les faire évoluer dans ce sens. Mais la bourgeoisie musulmane, qu’elle soit égyptienne, tunisienne ou autre, ne peut conduire la lutte du peuple musulman jusqu’à la révolution sociale. L’indépendance nationale est un objectif qui lui est suffisant : que les impérialistes et les colons partent mais que, elle, conserve son pouvoir et même le renforce sur le prolétariat et les masses paysannes. Une telle situation révèle que la bourgeoisie musulmane est en fait incapable de prendre la tête de la lutte qui se développe maintenant en Afrique du Nord. Les victoires remportées par la révolution coloniale en Chine et au Vietnam sont la preuve que dans tous les pays coloniaux les questions de l’indépendance coloniale et de la révolution sociale se confondent étroitement à notre époque et que la direction du combat doit reposer exclusivement sur le prolétariat des villes et des campagnes victimes de l’oppression conjuguée des impérialistes, des féodaux et des grands bourgeois indigènes.

En Algérie, la situation est beaucoup plus explosive que dans aucun autre pays d’Afrique du Nord parce que la bourgeoisie nationale est quasi inexistante et que par voie de conséquence, elle ne constitue pas un écran entre les masses et l’exploiteur étranger comme c’est le cas au Maroc et en Tunisie. C’est la raison pour laquelle l’Algérie et sa principale organisation nationaliste, le MTLD, sont un tel foyer révolutionnaire. Mais le MTLD qui vient de subir une grave crise est loin d’avoir le programme qui convient, ses militants les plus éduqués sentent la terrible insuffisance politique qui est la sienne, et qui repose fondamentalement sur le fait que sa direction n’admet pas la réalité de la lutte des classes.

Mais les événements iront vite maintenant. Le passage du terrorisme individuel à l’organisation d’une armée nationale va accélérer la politisation des meilleurs combattants. Des remous auront lieu dans les grandes organisations nationalistes accroissant la séparation entre les couches qui veulent aller jusqu’à la victoire – jusque et y compris faire de leurs pays des grands pays modernes – et celles qui devant la crainte d’une révolution socialiste préfèreront s’engager dans la voie du compromis avec le gendarme impérialiste. Dans les années à venir des regroupements auront lieu donnant naissance à des forces nouvelles : de toute façon il n’y a aucune raison d’admettre que la partie la meilleure du peuple nord-africain restera étrangère au marxisme et ne reconnaitra pas en lui l’arme la plus efficace pour penser et agir dans un sens tout à fait révolutionnaire.

La lutte du peuple d’Afrique du Nord, c’est aussi la lutte du peuple français. Les coups qu’il porte à l’exploiteur commun, renforce l’action en France même. Il est du devoir de chaque travailleur de s’élever contre l’intervention impérialiste en Afrique du Nord, pour l’indépendance totale de ces peuples, contre l’interdiction du MTLD et pour la libération des emprisonnés. Avec l’envoi du contingent, le peuple français sera directement engagé dans cette guerre. Or celle-ci n’est pas la sienne, ni celle des jeunes soldats qui n’ont que faire de risquer leur vie pour défendre les comptes en banque des colonialistes.