Des cigognes volaient dans le ciel de Syrie… L’écrire… Ma mémoire de chaque seconde charrie des cadavres… sous l’occupation sioniste, les visages défigurés par les brûlures, Mounir mort, Setti morte, Hassan lié et frappé, Asmé mort, Gilal en prison, et tous les hommes torturés à l’électricité. Rashidiyéh, notre village, rasé. Les mères hurlantes de Sabra et Chatila.
C’est le regard de l’infirmière sur le malheur du Liban.
Il me semble certain que je pars pour la mort. Je sais. Je veux. Cette mort est la plus belle ; cette vie-là aussi… Si Dieu veut de ma mort, je serais si vivante à ce moment.
C’est le cri de la militante de 34 ans, tuée dans un commando de résistants palestiniens, le 23 septembre 1984, à Saïda.
Entre cette vision, et ce geste libérateur, se situe le livre de Françoise Kesteman, ou plutôt le poème du cheminement de sa vie.
La déchirure du mensonge, et la réalité du terrorisme israélien, vécue au jour le jour par Françoise Kesteman, cette jeune Française venue pour panser les plaies, et qui prend conscience qu’il ne suffit pas de soigner les blessures, si l’on ne participe pas à la lutte contre celui qui les fait.
Du sanglot, de la douleur partagée, au cri de la colère, et au rire de l’espérance, Françoise Kesteman porte dans son cœur toutes ces douleurs, toutes ces colères, et toutes ces espérances d’un peuple, le peuple palestinien.
Elle rejoint son combat et sa foi.
Elle témoigne de l’unité de cette foi :
À Tyr, il y a des 8 chrétiens et des musulmans. Nous sommes tous bombardés et tués de la même façon…
Contre la bête immonde qui a dévoré le Dieu des prophètes d’Israël, se dressent les hommes et les femmes de foi juive, de foi chrétienne, de foi musulmane, de toute foi en l’homme et en Dieu.
Quand Mouna est sortie de l’abri pour préparer le déjeuner des enfants, les avions d’Israël lui ont arraché la tête.
Alors Françoise Kesteman ne peut plus se taire. Même lorsqu’on mit des tanks sur ses mots, comme les mille tanks de Sharon encerclant Beyrouth désarmé pour y lâcher sa soldatesque.
L’infirmière devient combattante. Sa prose devient poème. Pour chanter la joie de donner à la cause juste d’un peuple sa vie et sa mort.
Cette voix nous parvient d’au-delà de la mort.
Pour faire se lever un nouveau matin de la vie.
Malraux disait d’autres hommes allant en Espagne au-devant de la vie et de la mort pour un autre combat de la liberté : c’est le moment où les morts se mettent à chanter.
De cette voix écoutons le dernier message où la jeune Française dit nous
au nom de ses frères palestiniens :
Pour être libre, l’Algérie a perdu un million de morts. S’il nous faut, à nous aussi, un million de morts pour être libres, nous les donnerons. Mais n’attendez pas tant de morts pour reconnaître que nous avons raison.
Roger GARAUDY
Genève, le 6 mai 1985